Le barbecue de connasses | 11 juillet 2012

 « J’ai deux choses à t’avouer Polo.
-          Du moment que ça me fout pas en dépression ou en zonzon, ça me va.
-          Tu promets de garder ça pour toi ?
-          Tu te crois où l’ami ? Les secrets, l’honneur, ça va pour les biens nourris et les crevards installés… Ici, tu dis les choses ou tu dis rien, mais je te garantie rien.
-          Ok. Bon, j’m’en fous. Après tout, qu’est-ce que ça peut foutre ».  
Je pensai à l’araignée crispée sur sa toile au plafond de mon pieu. Une jolie coquine qui avait tissée son piège dans mon bide… Ce genre de trucs mièvres-là. La Lune lunait de plus belle. Ces instants-là sont cons, des minutes menues gaulées comme des serins piaillant qui, pourtant, constituent le cœur de ma mémoire. Mais non, j’ai mal aux cuisses, j’en AI MARRE D’ENCHAINER, JE SUIS ENCHEVETRE DANS MA TRONCHE !
« Le mec qui m’a formé, il s’appelle Liam. Tu vois ?
-          Ouais, ton tuteur.
-          Ça se passait pas super.
-          C’est un vrai con c’rouquin, t’es mal tombé.
-          Un vrai ouais… mais maintenant… disons qu’il est à la même enseigne que les déchets qu’il traitait… »
Son visage se crispa. Je sentais qu’il allait me dissoudre dans ses sucs buccaux d’arachnide. Sa main « bagouzée » s’impatienta sur un accoudoir. Il avait les joues haussées d’un mec bourré. Un bourrin simpliste mais à qui on ne la faisait pas :
« T’as tué l’rouquin ?
-          Exact.
-          T’es taré?
-          Non».
Il gratouilla son genou. Je crois qu’il n’en avait rien à cirer.
« Tu vas essayer d’me tuer moi aussi ? T’es l’genre serial killer ? C’est ça ?
-          Non. Du tout. Je déteste qu’on essaie de me dominer.
-          T’as raison. On est devenu des bêtes. On aime la viande des autres. Moi je finis par aimer la viande des autres. Moi aussi j’ai tué. De tout. Des mecs qui m’faisaient chier. Des mecs qui voulaient me voler. Des mecs que j’ai volés. Mais j’aime pas ça. Je suis pas un criminel moi. J’ai juste pas le choix. Pas le choix. On s’faisait des barbecues d’connasses aussi.
-          C’était quoi ?
-          T’as vécu dans l’immeuble à Marseille hein ?
-          Ouais. J’ai l’impression qu’on a même pris le car ensemble, pour y aller.
-          J’crois pas. Peut-être un d’mes frères.
-          Les barbecues de connasses alors ? »
Il cala un peu mieux son cul son rocher doté d’un accoudoir naturel. Il avait l’air d’un monarque comme ça. Un monarque en lambeaux. C’était quelques mois avant que j’arrive à Marseille. Lui aussi, il était entré dans le tourbillon : « C’était comme si on nous amenait dans un fourgon ». Les rapports, tu sais que j’en parle des rapports (ils ont capitonné tout, tuant les petites mains gelées de l’enfant-roi) entre les résidents contraints de l’immeuble étaient âpres. Il suffisait qu’un «boulet », un trublion, un imposteur bénéficie d’un poste – avant tant d’autres – sur Astérion, pour qu’il disparaisse dans l’heure, sans doute enfoui dans un interstice des fondations du bâtiment. Des odeurs de corps en putréfaction émanaient souvent du rez-de-chaussée, si bien que ceux qui logeaient dans les trois premiers étages, appelés le « barbecue de connasses », étaient généralement des éclopés, des faibles, des incapables, des fous, etc.  Polo et ses potes déboulaient, certains soirs d’ivresse, et ils défonçaient ces types, ces « loques » humaines, « des tréteaux plantés dans l’cul, on s’en donnait à cœur joie, on faisait de l’humour et on trouvait ça cool d’être affreux ». Ils battaient des pauvres types désarmés, dans « le soucis de nous prouver qu’on valait mieux qu’eux, qu’on valait plus qu’un pot d’pisse de grabataire… J’me sentais comme ça ». J’enchainai :
« Je comprends Polo. Pas la peine de te justifier.
-          J’me justifie pas. Et pire, je ressens encore l’plaisir dans mon ventre.
-          J’ai ça aussi. Mais dedans, dans la tête, à l’intérieur de ma cage, il y a c’t’affreuse araignée baveuse qui croque et dissout ses petites victimes. Tu pensais qu’on ferait ça ?
-          Non jamais. J’étais un honnête gens avant.
-          Oui. Nous étions tous des beaufs. Mais quand tu tombes, tu tues, tu soulèves des poutres de nerf pour descendre n’importe quel clampin décalqué. Je suis comme ça dedans. Les écrans, le confort, la perte du confort, tout ça m’a donné l’envie de bidoche, un coup d’genoux dans les burnes d’un pacifique, des coups d’coupe papier dans les yeux d’une vendeuse de confiote, ce genre de cons à faire graphiste dans la vie, hippie béat trombinant dans tous les pieux et pleurant sa mère sitôt la cour des miracles chauffée à blanc. Tu les attends encore les humains, les ceux qui voulaient aider les pauvres, les ceux qui appliquaient la charité laïcarde en faisant trois pauvres dons annuels, du tri sélectif et des déplacements en bicyclette. J’étais de ceux-là, un gentil cochon rose à friper sa queue avec des capotes pour dégazer l’paquebot… Une lune dans l’objectif. Pas comme celle-là. Une farce. Une frousse. Des coups cons. Polo, j’te le dis, le barbecue des connasses, c’était bon pour tous… On était les palefreniers de l’enfer. C’est comme ça dedans, des fois tu veux survivre, et des fois, tu veux démentir le réel.
-          Un peu ça ouais.
-          … quand je te parle là, j’ai l’impression que t’es vraiment là, assis à côté de moi, et qu’on a partagé les sangs ensemble. Tu sais, je l’ai déjà fait avec Malik, je l’ai fait avec Bertrand, je le ferai avec toi. Et entre, y’aura l’aventure, la folie de l’aventure de la vie. C’est aussi dur que quand tu es alcoolique. J’ai tué oui. Liam, fallait le tuer. Dès la première minute, il a voulu jouer les chefs. J’avais des trucs à régler. Et c’est le réchauffement climatique, enfin tout ce qu’ils en disent tout le temps, sans cesse, qui finissait par me monter à la gueule. Je devais régler l’enfance raté et la légende de mon avenir foutu par le mon qui va crever, ils disaient ça : « ça va tous crever »…
-          Ouais, c’était dur ça »…
Y’a pas de talent sans souvenirs. Ça se mélange. J’essaie d’être productif. J’ai l’impression de parler à ma vie au téléphone. « Allo les souvenirs ? »… Il se leva, tapota mon épaule puis son genoux façon toc, et s’en alla… Je l’interpellai une dernière fois :
« J’ai rencontré le patron d’Astérion aussi.
-          Ah ?
-          Oui. Je voulais signaler la disparition de Liam, et c’est lui qui était dans les bureaux, ce matin…
-          Et ?
-          C’était bizarre. Comme un miroir.
-          C'est-à-dire ?
-          Je sais pas. Il me parlait et j’avais l’impression de penser plus que d’entendre ce qu’il disait. Il m’a dit qu’il ne pouvait rien pour moi, comme un docteur, qui te donne un médicament pour te retarder la mort. C’était comme un docteur »…


Extrait de Mon Usine, la suite… (Roman en cours d’écriture)

A insérer à la suite de Liam.

Andy Vérol

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