Mon collègue a disparu | 18 juin 2012

Expectoration des angoisses par les pores du derme. Il fallut que j’aille chez les chefs. Un vigile me demanda mon matricule : « 123520G ». Le type avait un regard d’un timide un peu faux-cul, une cervelle tassée dans une marmite et la lèvre pincée du petit soldat. « Tu veux aller où ? »… « Mon collègue est je sais pas où.». « Et alors ? ». « J’veux le signaler, c’est lui qui me forme et qui est en charge de mon secteur ». Il regarda autour de lui. Ses yeux, les néons défectueux, les paluches énormes et l’index chopant un étron nasal aussi gluant qu’une chenille à la veille de sa mue. En entrant dans la petite cour, j’eus l’impression que la nuit refluait. Il n’était pas plus de 6h30, un ciel opaque gris foncé musclait l’océan d’huile. Une seule fenêtre sur des dizaines était allumée. Mon accompagnateur marchait à côté de moi, dans son uniforme noir, sa casquette, ses rangers et un écusson : « Astérion » flamboyant. « Je n’irai pas plus loin. Vas là-bas, passe cette porte noire et oriente-toi vers le bureau »…
Mon corps était encore frappé de vertiges énormes : l’alcool, la fatigue, l’état de choc et le contrecoup me fripaient partout. Il resta planté au milieu de la cour Tout était ténébreux – comme entrer dans les entrailles d’un monstre sous-terrain – et la porte était minuscule, à l’instar de la grotte d’Arkedoine que l’enfant avait découvert aux Tropiques d’OTO… J’étais certain d’avancer doucement vers l’échafaud. La porte grinça. Il fallait pousser. Je posai un pied, lentement sur le parquet du couloir, persuadé que tout allait se dissoudre, d’un coup, et me précipiter enfin vers la mort. Mais non, bien sûr que non, j’ai la mémoire précise, les méandres parfaits frappés de clarté. J’entrai et marchai, et ça grinça encore, mes pieds lourds foulant l’obscurité complète, ou presque, j’avançais, vers la raie de lumière blanche ondulante sous la porte du susdit bureau. Je frappai. 
« ENTREZ ! »
La voix d’un loup clopeur, l’éructation autoritaire d’une carne qui avait survécu à tous les abus. J’entrai, je vis et je chutai sur le sol… Un instant, je restai le visage sur une sorte de marbre blanc, très froid, très propre… sur lequel un mince filet de mon sang forma une flaque minuscule… 
« DEBOUT ! »
Epuisé, je forçai sur mes bras à qui on promettait encore une journée de labeur. Tant bien que mal, je parvins à me hisser sur mes guiboles, un brin tanguant, une grosse crampe dans la cuisse et une douleur innommable dans la hanche. Un chacal, puis un monstre, et enfin moi, mon visage tissé dans le noir, une lignée de chrysalides hurlantes perchées sur un fil. « Ça va pas ? ». Ma voix en écho, une caisse de résonnance. Le bureau était petit, succin. Il était assis : costume noir, cravate noire, chemise blanche. Il tenait un miroir qui cachait son visage et reflétait le mien. « Que se passe-t-il ? ». Je bredouillai un « mon collègue a disparu ». « Il faut voir ça avec les chefs de secteur. Mais il est trop tôt ». Je ne savais pas à qui je m’adressais. Plus précisément, je me parlais en reflet dans ce miroir tenu par ces deux mains aux doigts fins, à peine poilus, aux ongles rongés. L’homme avait une belle carrure, et une prestance, bien qu’un peu avachi sur son fauteuil en cuir. « Doit-on mourir vieux ? ». « Pardon ? ». « Je me présente. A cette heure matinale, je pense que le vigile ne sait pas qui occupe ce bureau. Je m’appelle Léonel Houssam ». « Vous êtes le patron d’Astérion ? ». « Oui. Entre autres ». « Enchanté ». « Je vais vous demander de sortir maintenant. Les présentations sont faites même si vous ne voyez mon visage qu’à travers le vôtre ». Sa voix m’était plus que familière, calme, sans aucune forme d’intonation autoritaire. « Ne posez aucune question. J’étais la lumière et je retourne à la métamorphose ». Je fis demi-tour et, tout en avançant, j’en tendis des bruits étranges, gluants, un peu comme des allumettes qu’on pèterait dans un bol d’huile. C’est l’image que j’ai… La nuit dedans le bâtiment, et une humidité atroce qui me chopa le visage comme une grosse main. Le vigile était toujours planté là. Il attendait. Je le rejoignis, lui indiquai que je devais revenir plus tard. Son regard brilla telle une lame au croisement du premier rayon de soleil perçant la brume dégueulasse.
Extrait de Mon Usine, la suite... Roman en cours d'écriture.
Andy Vérol  

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