Partager ses eczémas, MST, des coups et ses défonces compensatrices | 20 juin 2012

Son regard brilla telle une lame au croisement du premier rayon de soleil perçant la brume dégueulasse.
« T’as pu lui parler ?
-          Il n’était pas disposé.
-          Tu dois repasser plus tard ?
-          Oui. Tu sais qui est le type là-dedans ?
-          Non, je suis vigile extérieur. Je ne mets pas les pieds là-dedans ».
Il devint un tantinet jovial et ses dents scorbut sortir légèrement de l’entrebâillement de son sourire morne.
« C’est glauque ici, mais je m’y plais bien ».
Nous nous sommes figés entre l’entrée de la cour et l’espace réservé au dépôt des containers.
« Moi aussi je m’y plais bien.
-          Il y a beaucoup de boulot mais j’ai l’impression de servir à quelque chose.
-          C’est ça. Sur l’Île, on sert à quelque chose. On aide l’Humanité à se sortir de sa merde.
-          Tu sais où sont les femmes ?
-          Il y en a. Mais très peu.
-          Y’a pas moyen de ?
-          De quoi ?
-          Ben tu vois quoi…
-          Si, si. Tes collègues t’en diront plus au débit d’boissons ».
Je lui tendis la main qu’il ne saisit pas. Je fis demi-tour et rentrai chez moi, à quinze minutes de là (Le jour était complètement levé). J’étais bien. Quelques années plus tôt, nous avions passé le cap d’une majorité de gens ne bénéficiant plus du système du « la joie est dans le fric qu’on gagne »… Vivre dans une déchetterie géante, partager ses eczémas, MST, des coups et ses défonces compensatrices étaient la base d’une existence plus dure, plus injuste, mais tellement plus réelle. La vie, je me rappelle encore, avait le goût de la mort, corsé et tenace (du sang dans la gorge et la bouche, des boules dans le corps, des tâches, des furoncles… des lambeaux, des ampoules, des tranchés de jaune entre les dents…). A tout moment, un taré pouvait me poignarder, me violer, ou me truander. Mais j’étais devenu de ceux-là. Le muscle saillant, aussi efficace qu’un chef de meute, la tronche de travers et le vice dans le bide. Un peu comme se branler dans un stade de foot bondé. Le nuit sans sommeil me pesa à l’instant de reprendre du service. Liam en lambeaux, j’étais seul à la manœuvre. Un jour gueule de bois – qui n’était pas le premier et loin d’être le dernier – où les machines devenaient mes chiennes soumises. J’avais vu mon visage dans celui de Léonel, et ça m’avait donné de l’énergie, de l’espoir. Il avait été avenant, souriant. Une sorte de moi propre, rasé et en bonne santé. Une sorte d’ex-moi, du temps où je croupissais dans un bureau, trop occupé par mes petits soucis de blanc-bec pour m’apercevoir du gouffre qui s’ouvrait sous nos pieds. « Du temps où tu parlais tout le temps, tu n’avais pas une once de sensation ».

Extrait de Mon Usine, la suite… roman en cour d’écriture.

A insérer à la suite des débuts de la partie 3.

Andy Vérol

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