Une cystite buccale, une champignonnière pulmonaire | 02 juillet 2012

Tu es moche avec les doigts, un dur, un mou planté dans le cou car tu es moche, vitreuse, huileuse aussi en hiver comme en été sous la chaleur crémeuse des étés flamboyants. Ils n’entreront pas, pas friands de dialogue, ils n’entreront que l’arme au poing, tous crocs dehors. Me descendre, m’asseoir mort sur une cagette en viande de porc. Je ne sortirai pas ! On avait dit que je devais terminer tout, de tout raconter.
« Monsieur sortez, vous prendrez votre pied, vous fourmillerez de plaisir, un doigt mou dans le cou, un doigt dur au cyanure ». Nan. Je développe. Lâche, quitte à en perdre le style. VOUS N’ENTREREZ PAS. L’amertume manigance, pas la belle, pas la moche. L’oignon du kebab roté toute la journée après la pause déjeuner, les yeux dans les yeux d’un type avachi par la précarité, la « précariture », la pourriture du précarisé, le pré-carré des clochardisés.
Les vacances en bungalow, parties de mini-golf pendant l’heure de la sieste de tonton, tata, ces crapules craquant l’une dans l’autre telles des chips sexuées… Je menais la partie, puis Bruno prit la main. « On est ado maintenant, on peut rouler des pelles ». Un morceau de Daniel Guichard gâchait ma concentration. J’étais à l’orée du temps où l’on commençait à dire « cool ». Un tracteur, une savate, un certain Jojo qui avait juté dans la dentelle et la soie des jeunes femmes, était autorisé à triturer les talus de sacs poubelles pour quelques billets craquants entre les doigts. Perfecto, jean, santiags, il claquait ses émoluments frugaux dans des pintes bières amères, des parties de flipper et des olives dans une coupelle…
« Espèce de pauvre taré ! »… Je distingue un peu plus encore sa silhouette recroquevillée de femme. Ses doigts fins, cette façon fragile de serrer les poings, de croiser ses jambes comme pour presser sa vulve, en sentir une larme de son jus jaunir le fond de sa culotte. Son expression particulière, la stature si frêle, plus frêle que celle du mâle, moi, guiboles velues écartées dans le fauteuil de PDG de l’Usine ! « Je ne lâcherai pas tant que je n’aurai pas tout écrit ! C’est COMPRIS ? ». Des mains des pieds, des gens qui claquaient des tickets restaurant pour bavasser devant une bavette des vastes projets d’une firme qui les enfilait à la sauvette. Un temps à la cantine, en pose sandwich, menu pas cher et hamburger de saison.
Une cystite buccale, une champignonnière pulmonaire et les verrues d’un vaurien figé, club de minigolf fermement tenu à deux mains, planté dans l’arcade sourcilière de Bruno, le pote étalé dans le sable au bord du parcours du trou n°11… Personne n’avait rien vu, rien entendu, sauf Jojo, souriant, tous chicots dehors, le cul en bleu de travail vissé sur le siège de son tracteur : « J’ai rien vu petit… Mais si tu veux pas d’soucis, et que tu veux pas que je répète, tu vas faire un truc pour moi »…
Du haut de mes 15 ans, je tremblais menu, les genoux se cognant, les côtes compressant la cage :
« J’dois faire quoi ?
- Tu vas aller me piquer les culottes de ta tante, de ta cousine, et aussi celles d’autres gonzesses… surtout de ton âge.
- D’accord.
- Je ne dis rien si tu m’amènes tout ça ce soir, à 21 heures, derrière l’écurie des poneys. Ok ? »
C’était l’air des magnétoscopes et des walkmans. On pouvait rembobiner les cassettes, je voulais rembobiner l’instant, juste au moment où Bruno s’était mis à tricher, trouvant hilarant de prendre sa balle et la mettre directement dans le trou n°11. « J’ai gagné ». J’étais furieux, frêle mais furieux.
« T’as pas l’droit de faire ça !!!
- Et quoi ? Tu vas m’faire quoi ?
- Tu triches putain !!!!
- Et toi tu dis des gros mots, c’est pas mieux !
- Putain de merde ! Retire la balle ou j’te… !!
- Tu m’quoi ?
- J’te !!! »
Mes orbites firent des tours et, d’une force vertigineuse, je soulevai la canne de golf, la fis tournoyer deux secondes avant de lui exploser l’œil et l’arcade, le sang en splash mouchetant le revêtement vert du cercle entourant le trou n°11… Bruno l’épais plia et s’effondra… Je ne pouvais pas rembobiner… Ne me restait plus qu’à jeter les cannes de golf dans la rivière sauvage et partir faire une partie de Monopoly au « bar ovale »… « Piquer les culottes de tata… et de… »
Jojo n’hésiterait pas à tout raconter.
Les pompiers, toutes sirènes hurlantes, vinrent chercher l’être comateux qu’était devenu Bruno, 16 ans, tee-shirt bleu Aha, espadrilles rouges, short de foot blanc de l’équipe de France…
Extrait de Mon Usine, la suite… Roman en cours d’écriture.
Andy Vérol   

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