Le pire tortionnaire, c'est le dérèglement du climat.






9 juin 2011: le pire tortionnaire, c'est le dérèglement du climat. Non, c'est le voisin d'en bas qui gueule tous les soirs sur sa femme. Non, c'est pas ça. C'est le lit froissé, la couette sans cul ni tête pendant qu'on bombarde des gens à l'autre coin du potiron qu'on appelle la Terre.

10 mai 2011 : Mon voisin de chambre, celui qui suçait des bâtons de Magnum, est décédé cette nuit. C’est Mohammed qui l’a trouvé. Il pleurait comme un enfant. J’ai du le consoler, ce porc.
11 mai 2011 : j’ai repéré une faille dans l’organisation. A l’heure de leur brief du matin, il n’y a que deux membres de l’équipe qui sont en visu dans le service. Il y a une plage pleine d’horizon et de paquebots lents au loin… et la lune en plein jour. Juteuse, rouge et dégoulinante.

12 mai 2011 : je suis le candidat idéal pour les multinationales des tarés, des empaffés, je suis déclassé, je suis le troufion des multinationales, l’asile est une multinationale, les jardins sont une multinationale ! Nous sommes tous les fous des multinationales. Multi-compressés dans multi-fous-rires, multi-fausses-larmes, le crocodile, le chien du trader, le morceau d’viande du taser, le carton-pâte du cutter, j’suis nous sommes je suis nous sommes le chien loup mouillé des multinationales, les poules sèches, les miettes chaudes, les bras ballants des multinationales, multi-triques, multi-traders././ Je vais sortir et courir, le cul nu, la fesse blanche comme la margarine, le regard heureux, je vais fuir l’hosto, les chiens-loups mouillés et je crapahuterai dans les champs verts posés sur les multi-hectares de décharges. Mohammed est en arrêt-maladie. Je me sens soulagé. Une nouvelle venue dans la chambre de mon voisin mort s’appelle Solange. Solange, ça me fait penser à salin, à salaire, à cyanure… A baisers cachés et à soulager sa peine.

13 mai 2011: les combats n'ont pas cessé depuis plusieurs heures. Je reste sous mon lit dans les odeurs de sabots crocs d'infirmière et les filaments de poussières crotales. Les gens paniquent mais font comme si tout allait bien. Je maîtrise mal la situation. Les brancardiers sont manchots, moignons sanguinolents traînant le long du corps.

14 mai 2011: durant les années à venir, chacun s'entraînera sur les jeux en réseau avant de choisir un camp pour devirtualiser l'héroïsme.

15 mai 2011 : l’œil de sioux, je scrute chacun des participants au loto. Les vieux les jeunes, ceux qui ont « l’air normal » qui sont en fait les pires dingues de la Terre, ceux qui ont l’air dingue, visages et corps déformés par la folie qui ne sont pas moins pires que les autres. On mélange tout ce petit monde en prétendant soigner. En réalité, c’est comme d’enfermer des voyous ensemble dans des maisons d’arrêt, ça a l’effet sonique inverse. Le taulard passe de délinquant amateur à délinquant professionnel. L’interné passe de dingo amateur à dingo professionnel. On a compris la combine. On s’occupe de nous pour nous cajoler ou nous punir. C’est au choix. La punition étant la cerise sur le gâteau, le coulis de framboise sur l’île flottante, la tarentule dans un nid de vers de terre. Ça n’est pas tant des actes de violence, mais des mesures d’enfermement médicamenteux, des heures à croupir dans son caca. On est comme ça, comme le bébé, on a compris que le caca et le pipi mettaient les adultes en alerte général. On sait que c’est par ce biais qu’ils s’intéresseront, qu’ils viendront s’enquérir de notre état. Si on reste dans son coin, sur une chaise, à écrire comme je le fais, les journées peuvent passer sans que personne ne vienne me parler. J’ai les oiseaux, les moineaux, les coups de vent dans les branches, les bruits de pneus sur la chaussée mouillée, le grésillement de la télé en mode pas de chaine mais allumée quand même, les cris des autres, leurs pleurs, leurs rires bizarres… On a tout ça comme compagnie, mais en fait, pas un seul être humain ne vient. Juste une tête qui se penche à l’intérieur pour vérifier si tout va bien. Si je ne pisse pas et ne chie pas partout, ils ne me changent ni les draps ni les serviettes. Ça peut durer des semaines. Parfois, au loin, des voix nouvelles, des visiteurs un peu apeurés, gênés d’être au pays des zinzins baveurs, caresseurs, hurleurs, prostrés ou errants. Ils viennent soulager leur conscience en venant voir le ouf de la famille… J’ai personne qui vient. Même Aurélie a abandonné. Je crois. Mohammed est mon seul contact charnel, violent, tendre, infect, poisseux, mais contact quand même…


16 mai 2011 : les jours à barillet, une seule balle dedans. Le faire tourner, le stopper et tirer. Clic. Un jour de plus. Nouvelle tentative demain. Le monde bleu, les bombardements continuent. Aujourd’hui, ils ne m’ont pas donné à manger. Je ne crois pas que ce soit un repas, un morceau de jambon, un peu de purée tout ça avec l’odeur des doigts d’un ogre.


17 mai 2011: je fais de la pub pour Orly Sud, j'ai trahi Orly Ouest et le bouillon de culture. J'ai imposé le cut-up final à la voie du nord pour la chaussée de l'est. J'ai écrit des morceaux de tomes de livres futurs que je n'achèverai jamais. J'ai jonglé dans une boîte à chaussures. Tout est prêt, les roulettes sont là, manque plus que la valise...


18 mai 2011: la peur donne la sensation que les yeux sortent de leurs orbites, speedy gonzales gluants, vibrant dans l'air comme de la gélatine...


19 mai 2011: entre l'air du parc et celui de la rue, il y a une différence flagrante, un soupçon de carburant, des effluves de cette liberté urbaine qui ressemble fort à la dictature du parpaing, cette brise vulgaire aux essences d'égouts surgi des bas-fonds bafoués par les pelleteuses, les marteaux-piqueurs, cette acharnement humain à raboter sa boule tellurique jusqu'au noyau de feu...


20 mai 2011: clic boum le cocu cligne de l’œil avant d'poser le canon du fusil d'chasse contre son menton. L'humiliation au centuple, la pitoyable idée d'appartenance à l'autre, et l'autre qui triture la crasse sous les ongles... J'peux pas lui en vouloir de jouer au trou d'balle, une fuite en avant, les dents explosées, meurtrière creusée à l'arrière du crâne. Fallait pas baiser à côté, fallait pas s'casser le cul au taf, fallait pas mettre toutes tes billes dans l'autre...


21 mai 2011: trop de MC s'tordent de fierté dans le cran d'arrêt dressé par l'danseux piteux bourré tassé devant la scène. J'reprend un peu l'stylo, j'fais pas mon lit, j'fais mes besoins dans l'dudule sombre, j'suis sobre, silencieux, y'a que l'osier sous mon cul qui casse le silence de ma chambre.


22 mai 2011: Aurélie m'a dit qu'elle m'aimait comme un cousin, un frère, un membre de sa famille. J'vais faire quoi du viandeux qui flasque dans le slibard maintenant. J'ai signé un chèque. Je lui ai donnée. Je me suis autorisé à mater son sot-l'y-laisse avec une pointe d'excitation. Paraît que c'est pas bon d'causer comme ça, mais quand on vit dans ses déjections, on s'dit qu'il ne reste plus grand-chose d'interdit dans ce monde. Hein? Hein? Hein?

Léonel Houssam


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