Mourir à Orly Sud




Il donnait du sens aux marteaux-piqueurs, propulser sa face sur les parois de parpaings non loin d’Orly Sud. Orly Sud et son soleil grand beau, grand chaud chavirant sur l’horizon aux heures pleines de bouchons automobiles. Ici protégé du venin des femmes, des hommes, de ces sexes protubérants qui décalcifiaient les cerveaux. Les arrondis des entrées, les angles pointus des bâtiments, les courbes généreuses des pistes d’accès à l’avenue des décollages. Et gentiment, il prenait ses quartiers sous l’escalator n°5, suçant son pouce et crachant sur les godasses des bidasses. A ce jeu, il gagnait sans cesse, s’endormant paisiblement à l’heure des balais-serpillières pour s’engouffrer dans les mondes liquides traversés par les précipités rouges crachés par les victimes du jour.

Les platanes stoppaient les oiseaux d'acier en plein vol. Ces crashs permanents aux odeurs de kérosène, de chairs brûlées et de métaux lourds alimentaient l'incendie perpétuel à la frontière nord d'Orly sud. Il savourait les milliers d'explosions formant un arc majestueux dans le ciel sempiternellement sombre de la planète mère moribonde. En bouffant des trognons de pommes, des résidus d'aliments dans des boîtes de conserve ou du lait tourné, il craquelait de joie dans le bassin de jouir qu'il nommait le lit des enfants morts...

Et son gobelet contenant quelques pièces jaunes jetées avec empressement par des passants était plusieurs fois renversé par les pieds d'autres passants inattentifs. Il était plus transparent que l'air, lourd et glissant comme le sol, on l'ignorait ou on portait attention à lui uniquement pour racheter un lambeau de conscience. Les valises à roulettes, les talons, les gambettes agitées de bambins. La bourse et la vie réunies sous la structure massive et rassurante d'Orly Sud.


Il y a ce matin du fabuleux dans ses yeux. L'orchestre s'est mis à jouer très tôt dans sa tête cette nuit. Brouette de sons aigus tous enrobés de basses gloutonnes. Ses trois ou quatre "moi" s'Andalousaient, turbinaient, tapinaient si fort - la cuisse jambonneau saucissonnée dans le filet distendu du bas résille - qu'il était debout avant l'envol du premier Boeing. Il renifle l'odeur séduisante du café qui fume au-delà du percolateur ainsi que le fumet deg-savoureux émanant des clopes pompées par les agents d'entretien adossés à la façade arrière du terminal...


Quand par miracle un quidam se penche sur lui, il supporte un ruissellement de compassion égotique... Les côtes flottantes acier donnent au hall l'apparence de l'intérieur d'un gros bide de pachyderme. La dentelle formée par la lumière du jour fendant les baies vitrées révèle les cadavres encore chauds des touristes et hommes d'affaires en transit.


« Tu vivras perché » lui disait-on dans un autre épisode lointain de sa vie. Il avait été étudiant fougueux, dragueur et ambitieux puis ingénieur déconneur, performant et prétentieux, puis il avait été entrepreneur, capitaine d’une barque percée de trous prenant la flotte de toutes parts… Péniblement, il étire sa carcasse-Lego. Les os claquent bruyamment, il en pousse des cris étouffés pour ne pas attirer l’attention des troupeaux de gendarmes qui patrouillent. Vigie-pirate est une prison à ciel ouvert… Il s’en fout, sa main plonge dans la première poubelle venue, y pêche un quignon de sandwich encore bordé de liquide tomate et de mayonnaise industrielle. Au passage, il saisit également une bouteille de Vittel d’un demi-litre, à peine entamée, qu’un passager a du balancer dans la précipitation. Paraît-il que le plastique qui explose peut ressembler à de l’eau… Alors… Il emprunte la sortie 4 et vient poser son cul impropre sur un parapet plus ou moins confortable. Il ouvre son paquet de cigarettes dans lequel sont entassés une vingtaine de mégots plus ou moins consumés. Il est un clopeur de seconde main désormais. Il saisit un filtre couvert du rouge à lèvres très vif d’une inconnue. Ce sera son baiser sensuel du jour. Il allume, la fumée remplit sa bouche, sa gorge faisant l’effet d’un shoot sublime. Ses dents lui font si mal mais cette seconde de grâce lui fait oublier. Les taxis déposent des gens pressés et stressés devant lui. Dans la musique des bruits de décollage, il y a une quiétude qui s’impose en lui… La Lune est toujours là, dans le ciel bleu de 10 heures… C’est suffisant. Pour l’instant. C’est suffisant…


S'asseoir et se lever, de lever et faire signe au groupe, et tendre la main et dire et tiens "donne-moi une pièce avant la montée des océans"...


Le pied d'un verre à vin vient lorsqu'il fixe les jambes étranglées l'une contre l'autre de cette femme amaigrie par les chimères canoniques d'une beauté faite par des homosexuels ou des femmes pour des femmes... Il sent l'odeur de ses couilles sales depuis des semaines lui refluer aux narines. Pour couvrir l'infection, il allume ce mégot canonisé par une seule ponction,... Une seule taffe.

A suivre...

Léonel Houssam

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