Dans mon bide, mes bras, mon cul, mes cotes flottantes



Chronique du quotidien pathétique : Les émissions de survie sont à la mode. Soit. Alors poussons la logique jusqu'au bout... Je pense. Les miettes molles s’étalent telles des pelloches sur la table basse. J’ai bu et j’ai déposé les canettes en aluminium sous celle-ci. J’ai repris l’alcool comme on se remet au sport. Des mois à résister, à me dire que la vie est tellement plus belle quand on est lucide. Mais les séquelles de la maladie, l’esprit rabougri qui a élu domicile en moi, se substituant à un gaillard désinvolte, un peu prétentieux, un peu sûr de son fait. Désormais je suis une branche prête à craquer si on marche dessus. Et encore, ça, c’est la meilleure nouvelle. La graisse s’accumule dans mes artères, dans mon bide, mes bras, mon cul, mes cotes flottantes, mes joues, mon menton. Sur l’ensemble du territoire corporel. Crime contre la satisfaction des organes. Joie intérimaire à l’instant de l’ingestion des sucres et des graisses excitants les signaux cérébraux.  Du bonheur retourné, de la joie secouée par les turbulences du bateau ivre, bourré jusqu’à la couenne, les reins cassés, les mots mal rangés, les billes des yeux congestionnés, ronflant éveillé sous une couette à la housse propre six mois plus tôt. La télévision est l’amie, le monde, plus encore que le portable et les millions de fous qui y dépensent leur vie à raconter leur vie d’ennui. De néons. De villes. De sourires rentrés voire d’agressivité non dissimulés aux rires purement commerciaux. De la vente du bijou « de création » à la Dacia Sandero toutes options. On vend « du rêve ». On cherche « l’aventure ». Des milliers de Christophe Colomb modernes se pavanent aux bords de piscine, traversent des jungles, rendent visite à des indigènes, randonnent en montagne pour « l’aventure ». La mienne – d’aventure- n’a pas commencé. L’idée a fait son chemin, progressivement. La ville est un étau, les campagnes sont privatisées ou ennuyeuses. Les jeux vidéo ont leur limite. La pauvreté dans le monde est manifestement devenue un sujet has-been… L’ivresse, la défonce me privent de pans entiers de mon existence, réduisant ma lucidité à l’état de variable négligeable de mon quotidien… Alors j’y songe. Les gens en ont assez. Ils voient bien que tirer 75-80 ans à faire des allers-retours domicile-centre commercial et domicile-lieu de vacances tout confort, c’est d’un chiant… Certains veulent retrouver la ferveur originelle de l’homo sapiens qui végète en eux au bord du jacuzzi bouillonnant de leurs existences translucides…  Je n’en suis pas là. La maladie m’a réduit à l’état de quotité négligeable et la solitude est un habit d’orties. Les émissions de survie ont la cote. Grosso modo, on veut un peu tester ses limites en milieu hostile (choisi par la production) à l’autre bout du monde. L’essentiel, c’est la limite de temps, le fait qu’on peut être soigné et rapatrié d’urgence et surtout que l’on est filmé. On ne peut plus vivre sans être vu, sans se diffuser, sans un selfie par ci et un shooting photo par là. On se montre bourrés, en forme, au sport, au travail, en famille, dans la rue… On se montre, comme si notre corps était un monument à visiter alors qu’il n’est pas autre chose qu’un tas de bris de verre. Je crois. Je n’en suis pas sûr. J’ai voulu m’inscrire pour participer. Mais l’aventure commence au remplissage du formulaire en ligne. La peur de parler à des gens, des inconnus, des gens de télé, l’appréhension d’être « casté » (ça ressemble si fort à « castré » hein ?), de passer de l’autre côté, dans le monde merveilleux perclus de pages de pubs, de bandes annonces et de vacuité bodybuildée à l’égocentrisme… C’est banal dit comme ça. Mais mon aventure de survie COMMENCE MAINTENANT ! J’ouvre une nouvelle 8/6 et un paquet de cacahuètes « finement salées » ainsi qu’une barquette de blanquette de veau industrielle passée au micro-onde… Objectif : survivre le plus longtemps à ce régime jusqu’à l’extinction complète de l’homo sapiens qui croupit en moi, sans assistance médicale, sans rapatriement d’urgence dans la lucidité, sans caméra…

Commentaires

Articles les plus consultés