Massacré par ce grand rouquin - Chronique des Parallèles 34
La vitesse des pensées est similaire à celle de la lumière. C'est une idée reçue mais elle me va bien. Mes doigts dans la plaie sanglante scintillent au crépuscule. C'est poisseux et chaud, luisant et sombre. C'est un univers au bout de mes doigts. Un univers mort, peut-être dispersé par les vents partout dans notre univers. Et au-delà.
Entre mes doigts des lambeaux de cervelle, jaunes, roses, bordeaux. Baveux. Ses jambes gesticulent encore. Les spasmes sont moins forts. Et déjà c'est malodorant. Il est temps de partir. Mais avant ça, je vais m'emparer de sa longue chasuble jaune et noire. Bien que tâchée, elle possède encore ses pouvoirs d'apparat.
Petit enfant, nous n'irons plus aux bois où tu te faisais massacrer par ce grand rouquin à la peau sale. Nous n'irons plus dans la maison au crépi couleur crème, Mercedes jaune clinquante garée devant. Le camion américain du voisin et les rangées de sapins replantées au milieu de la forêt de chênes. Nous ne remonterons plus sur le karting à pédales et nous ne nous ferons plus hurler dessus. Nous ne marcherons plus au bord de la route où nous avons vu le corps de Rémi voltiger au-dessus de la carlingue d'une Land Rover. Nous ne volerons plus le vélo de la cousine pour aller se cacher là-haut au sommet de la colline boisée. Nous n'allumerons plus de feu au bord du Ru dans la rosée du matin.
Il n'y aura plus tout ça, il n'y aura plus cette boucle infinie, perpétuelle dans laquelle tu étais enfermé malgré le vieillissement de ton corps. En nous couvrant de cette chasuble, nous déjouons le sort. Ne bouge plus. Tends tes poignets. Et laisse-les te mettre les menottes. Plutôt être enfermé dans une geôle que de croupir dans cette boucle temporelle.
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