Assommé par les énormes chaleurs


Et me réveiller dans cette piaule, cet éternel Motel défraîchi au bord de la route 402. Le H. HILL. Même le nom ne te tient pas. La migraine s'est invitée pour me réveiller. L'odeur de pisse de chat est tenace ; car bien sûr, j'ai encore oublié de nettoyer sa litière. 

On dit que les chats nous observent et apprennent par cœur la moindre de nos habitudes, manies. Épié. Je l'ai bien remarqué. Ses yeux verts façon vases sont toujours tournés vers moi quand il ne dort pas. Ce gros mâle touffu d'un noir laqué a toujours un regard, rarement de face, souvent de biais. Et quand ce ne sont pas ses pupilles, ce sont ses oreilles, radars espions qui eux, même durant le sommeil, guettent, captent, enregistrent. J'ai remarqué qu'il sautait toujours sur moi au moment où j'enlevais mes chaussons. C'est systématique. Cette grosse boule poilue sait que c'est le court laps qu'il faut pour recevoir des caresses. S'il le loupe, je suis déjà endormi, emporté là où il n'est pas…

Il sait que lorsque j'allume la télé, juste après, je vais me faire un café. Et si par malheur, je ne le fais pas, il change d'attitude. Il frotte son cul sur mes mollets et si j'essaie de le caresser, il me mord sèchement. Vexé, humilié d'avoir été trahi le changement imprévu de mes faits et gestes. Il sait pourtant que je vais lui en mettre une, une petite claque sur le front pour l'arrêter. Et malgré ça, il attaque quand même. Il sait que lorsque j'enfile mes bottes, il aura du poisson à mon retour. Enfin généralement. Ça l'embête moins que lorsque je lace mes mocassins pour aller en ville. Là au mieux, il sait que je reviendrai au mieux avec un sac de croquettes ou de litière. C'est mieux que rien mais ça ne vaut pas le fumet de poisson.

Quand je regarde le catch, il se blottit contre moi un moment. Dès que la première série de pubs s'achève, il s'éloigne à l'autre bout du lit parce qu'il sait que je vais hurler contre cet abruti de Ken The Storm qui peinera à garder sa ceinture. Le pire pour ce chat, c'est quand The Gladiator éclate son adversaire et que je me mets à rire comme un damné. Ses oreilles partent à l'envers pour atténuer mes cris stridents de joie.

Le chat. Mon seul compagnon vaillant. Assommé par les énormes chaleurs. Mauvais chasseur de rongeurs. Excellent chasseur d'oiseaux qu'il me ramène fièrement. J'en ai fait changer des oreillers couverts de morceaux d'entrailles et de plumes ensanglantées.

D'aussi loin que ma mémoire me porte, j'ai eu des chats. Et c'est aujourd'hui que je le sens le plus nécessaire même s'il m’espionne, me scanne, me calcule et me manipule.

À lui seul, je laisse le droit de me mener comme une marionnette ou un serviteur. C'est triste à dire ; à ce jour, il est le seul être qui me protège contre ce monde étrange, ce monde irréel… Ce monde démonté de tous les côtés. Il n'y a que lui et parfois il y a Amanda, ma petite tarifée aux lèvres séchées et au corps décharné.

Cinq mégots pour la soirée. Une demi-bouteille de Cognac. The Gladiator contre Ken The Storm. La chambre est plongée dans la lumière terne de la lampe de chevet. La moustiquaire est en place. Je transpire dans les draps fripés. Le ventilateur fait un bruit de chien qui souffre. La soirée, cette fois, sera meilleure que la précédente.

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