Le cœur en fusion de la planète explosant par jets successifs



"Une bonne nouvelle avec des températures dignes d'un mois d'août dans le sud de l’Espagne", balance la Miss Météo, sorte de haut-parleur de la novlangue du déni d'extinction. Comme un type qui se serait crashé en voiture contre un arbre, le corps transpercé par ses propres os cassés qui dirait : « Putain qu’elle est belle ma voiture, et cet arbre, qu’il est magnifique ! Et mon corps ! Quelle perfection ! »

Elle n’y prend pas garde. La chaîne-météo est encore ce qu’elle peut encore supporter depuis qu’ils ont atterri dans ce motel vétuste planté au pied des montagnes rocheuses et brûlantes constituant l’un des points les plus infranchissables de la frontière avec le Far-S. Il n’y a que quinze chambres vieillottes et sales alignées face à un parking défoncé où seules les voitures de Halfred et du gérant sont garées. Les résidents se font rare. Les clients plus encore. Quelques semi-remorques passent en trombe toutes les deux ou trois heures ne s’arrêtant que rarement, plutôt au crépuscule, lorsque les chauffeurs harassés en ont assez de dormir dans leur cabine.

Halfred lui a garanti qu’ils ne faisaient que passer :

« Mais putain, l’image de la télé, c’est de la merde, y’a des cafards dans la salle de bain, des taches de merde dans la cuvette, des poils de cul dans le lit. J’ai envie de dégueuler.
- Fais pas ta chochotte. Faut se mettre au vert après ces derniers jours.
- C’est toi qui fait l’con et c’est moi qui trinque.
- On est là que pour quelques jours, le temps qu’ils nettoient le bordel, le sang, la bidoche des sales cons et ensuite on prendra une chambre dans un trois étoiles !
- Tu parles. Ça fait des mois que tu dis ça. T’es juste un baratineur.
- Non cette fois, c’est ce qu’on va faire. Les clients des trois étoiles paient mieux. Ils baisent mal parce qu’ils bouffent trop, ils giclent plus vite donc ils rapportent plus de fric à la minute.
- T’es vraiment con.
- Oh mais c’est vrai ! C’est connu. Les friqués se posent trop de questions alors ils bandent moins et éjaculent plus vite que les fauchés.
- T’es ultra con…
- Ici, on reste discret. Si un routier veut tirer un coup, tu t’en occupes.
- Tu parles, y’en a un qui s’arrête tous les 32 du mois.
- Ça fait deux jours qu’on est là. On n’en sait rien »

C’est l’instant précis où le sifflement de freins puissants se fait entendre. Un 40 tonnes Volvo se fraie un passage entre les nids de poule géants avant de se figer tout juste devant la porte de la chambre d’Amanda. Halfred dégage légèrement les rideaux en voile crasseux pour jeter un œil. Les phares du monstre s’éteignent. « Voilà un client ».

Quelques minutes plus tard, c’est un vieillard d’au moins soixante-dix ans qui pénètre dans la chambre. Il est sec comme un coup de trique, dégarni sur le dessus du crâne et de longs cheveux filasses blancs dégoulinant sur sa chemise à carreaux à épaulettes noires. Son jean bleu marine est taché de bouffe et ses santiags jaunes et vertes sont mouchetées de boue. Sa voix est faible, éraillée, un écho d’outre-tombe. Sans doute son cancer de la gorge est-il déjà à un stade irréversible. Le cigarillo sur lequel il pompe dégage dans toute la pièce une odeur de merde mijotée au soleil. Le sac en bandoulière qu’il porte à l’épaule gauche arbore un patch ACDC très usé… Sans un mot, il l’ouvre pour en extraire une corde munie d’un nœud coulant. D’un coup d’œil panoramique, il repère un tuyau courant le long du plafond au fond de la chambre. Calmement, il attrape l’unique chaise, la place contre le mur et monte dessus afin de fixer la corde au tuyau. Amanda le regarde faire en fumant sa cigarette. Elle est un peu comme un enfant au spectacle de cirque, la bouche légèrement tordue et les yeux grand ouverts.

« J’veux mes thunes avant les acrobaties.
- J’ai donné l’argent au monsieur baraqué à l’entrée.
- Sans capote, y’a un supplément.
- Pas besoin de capote. Déshabille-toi »

Elle s’exécute mollement. Elle a juste sa nuisette à retirer. Il lui fait signe d’approcher :

« Je vais mettre la corde à mon cou et tu vas me branler.
- C’est tout ?
- C’est tout ma petite »

Il ajuste le nœud coulant et le fait glisser sur son crâne avant de fléchir ses jambes, plier ses genoux et laisser la strangulation faire le reste sans qu’il puisse risquer la mort, les pieds toujours posés sur la chaise. Elle connait ce jeu qu’elle a pratiqué avec deux clients déjà. En le branlant, elle se demande ce qu’elle doit faire, si elle doit appeler son frère rapidement, lui annoncer sa grossesse. Elle se demande s’il est judicieux d’aller le rejoindre, lui et son papa, ce taré. Le sexe du vieux est en pool position, ferme, gorgé de sang tout comme son visage qui a viré au rouge foncé. L’excitation est à son paroxysme, sa gorge est tellement écrasée que l’air n’y passe presque plus mais l’orgasme se pointe, tel le cœur en fusion de la planète explosant par jets successifs et puissants de lave… Ses yeux rouges, les muscles de tout son corps tendu, il est emporté dans le plaisir absolu et bref, éphémère mais stratosphérique. Elle ne lâche pas son chibre qu’elle presse au maximum, le sperme s’écoulant par vagues épaisses… quand sans prévenir, le bonhomme lui envoie un coup de genoux violent dans le menton. Le craquement de sa mâchoire et le claquement de ses incisives en partie pulvérisées par le choc sont les derniers sons qui lui parviennent avant qu’elle s’effondre évanouie sur la moquette noire de saleté…

L’air climatisé fait un bruit de visseuse en fin de vie. Au bout de la corde, le vieux pendouille de toute sa masse. La chaise renversée gît sur les chevilles d’Amanda. Halfred, agenouillé devant son corps inerte, éponge sa joue droite avec un gant de toilette humide. La bouche de la jeune femme est ouverte. Il a pu en extraire quatre des dents de devant qui se sont brisées sous la force du coup de genoux du désormais macchabée et la placer sur le côté gauche pour qu’elle ne s’étouffe pas avec le sang et le vomi qui lui remplissent la bouche. Les paupières d’Amanda s’entrouvrent. Péniblement, dans un gargouillis dégoûtant, elle bafouille : « Faut qu’re j’rapp…prelle mo...f..rère ».



Extrait de « Reine-Mère », nouvelle en cours d’achèvement.

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