Le 101e kilomètre. L'état d'urgence permanent.




Le temps zéro de l'année zéro. 2020. Ils nous parlent du monde d'après comme si nous venions de quitter un paradis pour s'écraser sur une page vierge à réinventer. Je ne vais rien réinventer pas plus que des millions de quidams ne réinventeront quoique ce soit. Nous pouvons soulever des pavés, ils nous éborgneront. Nous pouvons crier notre colère, ils nous disqualifieront. Nous sommes assignés au redressement national, l'effort patriotique pour se sortir de cet effondrement qu'un virus aurait causé. Un virus n'effondre rien, pas plus qu'un volcan en éruption, pas plus qu'une sécheresse ou une tempête. 

Il n'y a qu'un parasite qui soit capable de faire ça: l'Homme. 

Il peut tuer ses congénères, les soumettre, les manipuler. Il peut les ingurgiter, les découper en morceaux. Il peut les emprisonner. Année 2020, année zéro. Nous glissions déjà dans cette forme de dictature molle. Oh mais inutile de se plaindre! Après tout, toute l'Histoire de notre espèce est faire de ces régimes politiques, économiques, sociaux et religieux qui soumettent. A ceci près que cette fois, c'est la totalité de la planète, que jamais l'Homme n'était parvenu aux limites non-extensibles du monde. 

Nous y sommes. J'y suis. Je ne peux plus pousser les limites qu'avec les mots comme tant d'autres auparavant ou ailleurs. L'écriture est devenue le monde parallèle, dernier refuge pour ne pas "être suicidé" par cette immense prison mondiale. A 20 ans, je rêvais d'un monde radicalement différent, un monde où des îlots autogérés offriraient des espaces de respiration à ceux qui n'en pouvaient plus. A 30 ans, les illusions déjà perdues, je jouissais à l'idée de voir l'Humanité disparaître dans un chaos total et absolu. Et à 40 ans, j'ai compris qu'il fallait vivre, qu'il fallait prendre un petit peu de quelque chose dans cet univers individuel de plus en plus engoncé dans une monde dirigé par le fric. J'ai donc entrepris de terminer les ouvrages morcelés que mon ère nihiliste m'avait empêché d'écrire totalement. Des livres guidés par une spiritualité omniprésente, n'en déplaisent aux amis, aux inconnus et aux passants qui passent. 

Peu à peu, et sans que ça provoque beaucoup de résistance, les frontières physiques et intellectuelles se sont lentement multipliées. Sous le prétexte de lutte contre le terrorisme, de lutte contre les discriminations, de lutte contre les violences faites à untel et untel, de lutte contre les pandémies, de lutte contre l'immigration illégale, de lutte contre le radicalisme, contre les fake-news, de lutte contre la pauvreté, de lutte contre les atteintes aux libertés, de lutte contre les intégrismes, de lutte contre le harcèlement, de lutte contre les aspérités, de lutte contre la folie, de lutte contre la dissidence, de lutte contre le réchauffement climatique, de lutte contre la destruction de la biodiversité, de lutte contre l'égoïsme, au nom de la prudence, de la rationalité, du réalisme, au nom de la liberté individuelle, de la solidarité, au nom des droits des femmes, des enfants, des vieillards, des minorités visibles, au nom de l'hygiène, des droits des personnes handicapées, au nom de la croissance, du sauvetage des entreprises, au nom du droit à l'information, de la lutte anti-corruption, au nom de la santé publique, de la vie en communauté, au nom de la République une et indivisible, de la démocratie, de la paix, de la propriété, du patrimoine, de la culture, des loisirs, du tourisme, de la propriété intellectuelle, au nom de la pluralité, au nom de la diversité - mais nous sommes tous égaux et identiques à la fois- au nom de la défense des animaux, de la défense de la nature, ... 

Des lois. Des forces de l'ordre. Des plans de sauvetage. Des interventions militaires. Des communautés ethniques, politiques, religieuses, économiques. De l'art subventionné. De l'art autorisé. De la nourriture défendant les producteurs locaux. De la nourriture soucieuse de l'environnement. De la nourriture sauvant les agriculteurs. Des lois sauvant ces héros, nos forces de l'ordre qui furent aux temps jadis des gardiens de la paix et/ou des agents de la collaboration ou de la libération, des lois qui sauvent le système financier, qui favorisent une éducation pleine et entière de nos enfants pour en faire des CSP+ au mieux, des bons salariés dociles au pire. Des lois partout, tout le temps, des sanctions sans cesse et sans fin, une organisation des villes, des mégapoles qui écrivent les trajets et les choix de chacun. Des bars, des restaurants, des lieux de loisirs et de villégiature dûment stéréotypés par des gentils élèves d'école de commerce. Des standards, des guerres commerciales, des consortiums, des trusts, des combats en faveur de l'emploi. 

Des lois Travail. Des lois Renseignement. Des lois anti-terroristes. Des lois anti-drogues. Des lois anti-trafics. Des lois sanitaires. Des états d'urgence, des lois d'exception, des amnisties, des lois anti-fakenews, des normes environnementales. Et des discours martiaux, des discours sans empathie, des discours technocrates, des discours sur "la restriction temporaire de nos libertés pour sauver des vies."

Pour sauver nos vies. Pour préserver les structures. Sauver les âmes, sauver les esprits. Pleurer chaque mort, prévenir chaque décès. Comme si la vie n'avait plus de fin. Comme si la vie encadrée et quadrillée de lois, de caméras de surveillance, de traitement et d'exploitation de données numériques, de contrôles policiers massifs, de contrôle des pensées. Jusqu'aux fantasmes: désirs virils interdits, charcutage du corps en vue de changer de sexe, de faire de son corps celui dont on rêve: autorisé. Contre les maladies liées au tabac, mais vente libre et taxée. Contrôle de la consommation d'alcool mais apologie du pinard français, vente libre et taxée. Contre les radicaux mais autorisation encadrée de manifestations sages, molles qui ne mangent pas de pain. 

Et tout ça du fait des élites? De ceux qui gouvernent? Non, du fait de tous. Heureux des prisons de vie qu'ils se sont construites pour se sentir immortels, se sentir intégré, se sentir en société, pour éloigner la peur de leurs foyers automatisés. Le Dieu des uns est le Néant des autres. Les marchands du Temple ont gagné. Inutile de renverser les étals, ils repoussent sans fin comme des herbes folles. Les friqués se calfeutrent dans le bio, la consommation éco-responsable (c'est ce qu'ils disent), le vie entre-soi de partage entre gens biens. Les fauchés se foutent sur la gueule, se méprisent, se replient sur leurs préférences culturelles et familiales pavloviennes. Le Dieu des uns bénit, sauve, bombarde les infidèles, les mécréants, emprisonnent. Le non-Dieu des autres, au nom du caddie plein, de la sacro-sainte liberté poubelle sanctuarise, bombarde les fous de Dieu, les bigots, emprisonnent. Tout le monde se fout sur la gueule. Les Etats se foutent sur la gueule, les voisins se foutent sur la gueule, les gens se traitent tous de cons, les quidams sont au bord de la crise de nerfs, les millions milliards se réfugient dans l’absorption de médocs, de d'alcool, de drogue, de sexe hardcore, de loisirs, de voyages nuls à chier, d'associations pansement-sur-une-jambe-de-bois, dans les rituels religieux, dans les passions dévorantes, dans les dépressions, les burn-out, les folies douces et dures. Tout le monde meurt VIVANT! TOUT LE MONDE EST EN PRISON. 

Ne reste donc plus qu'un horizon. L'écriture. Ce 101e kilomètre désormais interdit au nom du "faut pas mourir, ça fait peur la mort, c'est pas bien de mourir, il faut tout faire pour vivre le plus longtemps possible, emprisonnés dans sur une planète quadrillée de millions de frontières, de barrières, d'interdits, de morales". Ce fut ainsi depuis la nuit des temps et ce sera ainsi jusqu'à la fin des temps. 






Commentaires

Unknown a dit…
je ne vais pas vider mon estomac... mais ton texte me l'a retourné... vachte !!
bref, chapeau bas, casquette, bonnet et tout l'bordel comme dab !!
merci
et la photo !! tuerie comme dab aussi...

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