Sans tirer un coup de feu, l'Etat soumettra tout le pays. Journul intime 15.

 


D'un désert, on ne fait jamais une forêt luxuriante. Les jours passent et ne sont plus qu'un jour. Nous vivons tous sous l'eau dans un confort acquis dans ce temps lointain où la machine folle était lancée à pleine vitesse. C'était il y a quelques mois qui paraissent des années. 


Le clapet rabattu, les grandes gueules de tous bords ne s'agrippent plus qu'à une corde fragile suspendue au dessus du vide. Le PIB s'est effondré, ce sacro-sainte indicateur de la bonne ou mauvaise santé de la machine. 


Les gens ont disparu dans leurs domiciles, derrière leurs masques, dans une léthargie sociale qui n'étonne plus personne. Les zombies, stoppés dans leur course folle, errent dans les magasins autorisés, font semblants, pour ceux qui le peuvent encore, de travailler comme "avant". Il n'y a plus personne. Juste des spectres de zombies. 


Bientôt ils commenceront à se nourrir de leurs congénères. Ils le feront en passant devant les autres, en bousculant. Certains se suicideront. D'autres se révolteront. D'autres tueront. 


Dans ce monde, je n'ai plus ma place. Celui d'avant me filait la nausée, celui-là m'enrhume à peine. Tout ce qui me tient, c'est de terminer les livres en cours d'écriture. Pourquoi faire ? Je commence à me le demander. Mes livres sont non-essentiels, tout autant qu'un magasin de déco ou une fabrique de gadgets en plastique… 


Je pense à Duno. Il n'aurait pas fléchi. Il aurait continué à insulter le monde, à menacer de le jeter aux flammes. Il aurait déjà pris les armes, profitant du désordre général. Pendant les heures de couvre-feu, il aurait cambriolé des baraques, il aurait égorgé quelques racailles errantes. 


Il écrivait presque tous les jours dans ses cahiers. Je m'étais mis en tête de tous les retranscrire pour les publiés. Puis j'ai abandonné. J'en ai sorti de nouveau du cagibi. Dans un cahier vert titré au stylo "bouffez vos gueules de bois, il écrivait en juin 1995: "Quand je suis sorti de scène ce soir, j'étais presque heureux. J'avais un goût de sang dans la bouche à force de me mordre en chantant. Dans le taxi, je regardais les passants sur les trottoirs éclairés de Lyon et je me suis dit que ces putains de larbins, un jour, accepteront de rentrer et sortir de chez eux aux heures que l'état aura autorisé. Ces sous-merdes citoyennes accepteront tout, seront privés de loisirs et ne sortiront que pour chercher de la bouffe et travailler comme des cons. Il n'y aura plus de concerts, de soirées de malade. Ils seront d'accord pour ne plus fumer de clopes où ils voudront. Ils n'iront plus en vacances sauf mes bourges. Sans tirer un coup de feu, l'Etat soumettra tout le pays, le mettra au pas. Plus besoin d'armée, de chars dans les rues. Plus besoin de mettre les opposants au trou. Il n'y en aura presque plus ou presque. L'état tiendras tout le monde par les couilles."

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