Un squelette humain étalé contre la glissière de sécurité - Journul intime - 5

 


J'ai plutôt vu d'immenses fleurs dans un jardin. Des fleurs d'un diamètre monstrueux, sans doute plus de deux mètres de diamètre. Mais je n'étais pas effrayé. Je suis resté là, assis derrière la vitre de la maison. J'étais dans une bâtisse de mon passé. Ça sentait la viande cuite au beurre et à l'ail. Une légère fumée planait. La télévision allumée parlait de la mort de Joe Dassin. C'était tranquille. Les voix familières me parvenaient. En y réfléchissant, je me dis que l'on a une meilleure mémoire des voix que celle des visages. On est ainsi quand on flotte quelque part. J'ai la certitude que les souvenirs ne sont pas une réminiscence du passé mais bien un temps présent qui se bat en duel avec un autre temps présent. J'étais bien là-bas même si ces fleurs géantes paraissaient rien moins que des incohérences, des intrusions, des atteintes parasitaires d'un autre présent. C'était bien le cas. Leurs tiges étaient courtes, à peine plus haute qu'un homme adulte. 


Entre les pétales, j'ai vu deux roulottes passer, chacune étant tirée par deux chevaux. Ces manouches passaient de maison en maison pour vendre des paniers en osier qu'ils fabriquaient eux-mêmes. 


L'une des voix familières, celle d'une vieille dame, me demanda de m'éloigner de la fenêtre pour pouvoir fermer mes volets en toute hâte. "Faut se barricader avec ces pouilleux, ce sont tous des voleurs." 


En me retournant, cette cuisine où je pensais être avait disparu. Devant moi, une autoroute à quatre voies, totalement défoncée et envahie par les herbes folles, traçait une ligne droite jusqu'à l'horizon orangé par un crépuscule superbe. De chaque côté de cette autoroute, des étendues arides à perte de vue. 


Je n'étais pas angoissé. Je pensais que je n'avais pas de raison de l'être. 


À quelques deux cents mètres de là, des tiges marron portaient des corolles de fleurs géantes totalement fanées et asséchées. Et derrière celles-ci, une maison en ruine. La maison de l'autre présent envahi de voix familières. 


Ce nouveau présent était le futur. Le futur est le même instant que le passé et le présent. Le temps et l'espace n'étant pas forcément ce que notre cerveau nous en laisse voir. 


J'ai marché sans crainte. Un squelette humain était étalé contre la glissière de sécurité. Je me rappelle m'être dit :  « Il n'y a aucune voiture ici. » 


Quand j'ai ouvert les yeux, j'étais sur mon canapé. J'avais un peu froid. La télé était allumée. Des experts débattaient sur une polémique quelconque. Puis on parla de la mort de Valéry Giscard d'estaing. 


Quand j'étais petit, on me disait souvent que j'étais dans la Lune. En réalité, j'étais juste à tout moment dans d'autres instants présents et cela n'a jamais changé. 






Commentaires

Articles les plus consultés