Je retourne dans le monde où vous n'existez pas. Journul intime 29.

 


Plus on s'éloigne des réseaux tout en y jetant un œil une fois dans une journée, et plus on comprend qu'il ne faut pas essayer d'exister aux yeux des autres. En réalité, vouloir exister aux yeux de personnes que l'on ne connaît pas était un vice de monarques, de dirigeants, d'élites. La plupart des êtres humains ne connaissent vraiment qu'une poignée d'êtres.


Tant qu'on n'avait pas d'autres choix, on s'en contentait. On construisait le monde dans cet espace-temps très restreint. L'horizon était sans doute plus inaccessible et pour autant très proche. On se battait entre villages, on consommait ce que l'on produisait et on se suffisait d'un micro-monde qu'il était difficile de dépasser.


J'imagine que les soldats de tous temps s'engageaient aussi pour dépasser cet horizon.


Également, l'imprimerie a contribué à répandre l'écrit et à dépasser ces horizons.


Bref. Tout est une question de frontières intérieures. L'apparition d'internet, des forums puis des réseaux sociaux a offert à n'importe quel bouseux l'occasion de repousser ses limites spatiales et temporelles (tout comme le cinéma et la télévision le furent auparavant). Chaque cul-terreux peut savourer les privilèges des élites : exister dans le regard de milliers d'inconnus.


L'essentiel est donc le fait de ne plus exister dans le regard des autres, mais exister dans la solitude, l'isolement.


Je ne peux parler au nom de tous. Loin de là. Tous est inconnu. Tous est personne. Tous est Invasif. Mais j'ai redécouvert le fait de n'être plus personne pour des inconnus. Et miraculeusement, je me suis senti redevenir juste un être moins inutile qu'il n'y paraissait. Un corps habité par un esprit. Notre cerveau (humain) n'a qu'un million d'années. Il n'a pourtant pas beaucoup plus de capacités que celui de toutes les autres espèces animales.


À quoi mène ce texte ? À rien. Il n'est destiné à personne. Je l'écris simplement parce que j'écris chaque jour depuis un tiers de siècle. Je ferai ça jusqu'à ce que mon corps n'en puisse plus, jusqu'à ce qu'un coin de mon cerveau soit déficient. Je n'ai jamais écrit pour être lu. J'ai toujours écrit pour lire, apprendre à lire. Ça ne fait que 12 ans que je suis édité. Durant 24 ans, j'ai écrit dans mon coin. Il n'y avait pas internet, de réseaux sociaux. Mais je m'y suis perdu.


Il y avait quelque chose de fascinant. Car j'ai été édité parce qu'on m'a repéré sur internet. Ça n'était pourtant pas quelque chose que je cherchais. Mais c'est arrivé et je m'y suis laissé prendre. Ça a même pris des proportions dépassant les horizons de mon village reclus.


Finalement tout ça est déjà décrit dans "Le manifeste de l'acharniste".


Désolé. Fin de ce texte sans queue ni tête. Je retourne dans le monde où vous n'existez pas. Mon village intérieur.

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