Je me suis arraché un grain de beauté avec les ongles. Journul intime 51.

 


Bonjour, je suis Nicolas, ami d'Eliot/Léonel. Je vous partage le dernier courrier qu'il m'a demandé de publier ici parce qu'il n'a plus la possibilité de communiquer via internet :

 « De ma cellule. 25 février 2021. 

Cher Nico,

Je me permets de t'écrire cette lettre que je te demande de publier sur mes comptes Facebook, Instagram, Diaspora, LinkedIn ainsi que sur mon blog-labo Léonel Houssam.

Tu trouveras mes identifiants sur la feuille jointe à ce courrier. 

J'aimerais également que tu ne coupes pas ce petit passage qui t'est consacré. Ça a toute son importance.

Je ne peux plus me connecter et je te remercie de publier les photos que j'ai pu prendre lors de mes promenades autorisées. Ces moments sont magiques. C'est incroyable comme la vie qui afflue dans l'esprit et le corps lorsque l'on est incarcéré. Du statut de chien malade et trempé, on passe à celui de conquérant malgré le fait d'être délesté de son armure de guerrier.

J'ai cru comprendre qu'à l'extérieur les gens subissaient des restrictions sévères qui les abîmeraient psychologiquement et physiquement. À la télé, il parle de pandémie, de mouvements limités. C'est de la science-fiction ! Tu te rappelles quand on était ados, ça nous faisait triper. Apparemment, on y est. Je n'ai le droit qu'à 30 minutes de télévision par jour ou par semaine, peut-être trois heures. C'est confus. C'est là mais plus vraiment là.

La confusion est le terme. Ma cellule ressemble beaucoup à mon chez moi désormais. Un peu comme si je vivais normalement mais dans une vie qui ne serait pas la mienne couverte de mes propres apparats. C'est étrange et magnifique. Je ne me sens évidemment pas très bien. Avec cette impression de vivre avec quelqu'un. J'ai l'impression d'être dans un morceau de Mathieu Dantec, dans un texte de Pascal Dandois ou de Necro Mongers ou une création de Yentel. Comme si ces gens existaient encore. Alors que l'on sait toi et moi qu'ils ont disparu dans le petit corps freluquet d'un monde disparu.

Durant mes promenades autorisées, je me laisse emporter par les souvenirs. Ils deviennent présents. Je suis avec tous ces proches, je trinque. Je bois des verres. Parfois servi par un doux dingue à l'esprit sonique. Il s'appelait David Gamrasni. Il avait cette fâcheuse tendance à faire d'excellents cocktails, à jouer du banjo ou ce genre d'instruments bizarres, et à écouter du rap us des années 80.

C'est difficile de parler de tout ça. C'est tellement confus et lointain désormais. Je me rappelle qu'au début, ça avait l'air grave et que ça ne pourrait que faire du bien à ce monde de cons dans lequel nous vivions. Enfin, c'est ce que je pensais à l'époque. Aujourd'hui, je ne suis plus tellement certain du bien ou du mal.

Tu n'as pas connu tous ces gens Nico. Ça faisait déjà un moment que l'on ne se voyait plus. Peut-être même que je n'ai jamais vécu tout ce que je pense avoir vécu. Le crépuscule de ma vie s'est abattue alors même que j'étais encore dans cet état d'esprit qui consistait à se penser libre. Il me semble, mais je pense délirer parfois, que j'avais des gens qui m'éditaient. Je ne suis pas certain. Peux-tu me le confirmer en retour de ce courrier ?

Il y avait un certain Gérard Du Pont DelEurope ou encore une Faustine Sappa et d'autres encore.

Si je te demande de publier tout ça sur mes comptes, c'est comme pour me persuader que ces gens existent. Tu vas encore me dire que je suis timbré. Je pense, au regard de ce que j'aperçois que je ne suis pas le seul cinglé.

Bref. Tu sais, ou tu ne sais pas que je lis beaucoup plus. Un co-détenu qui s'appelle Ludovic m'a offert un livre qui s'appelle Fiat Nox d'un auteur: Régis Clinquart. Ce mec est un génie. Je te recommande cette lecture. Et toujours dans le délire de ma cellule, j'ai comme l'impression que c'est un ami de longue date sans que pour autant j'ai gardé les moutons avec lui une seule seconde. J'avoue que ça traduit les méchants symptômes de ma ou de mes pathologies de prétendre l'avoir connu. En tout cas lis-le. Je sais que tu es de bons conseils quand il s'agit de lectures mais permets moi pour une fois d'inverser les rôles.

J'ai lu un tas d'autres livres géniaux. Le souci, c'est que je suis certain d'être le pote des auteurs. Te rappelles-tu lorsque nous trainions tous les deux dans la taule où je suis aujourd'hui, que nous rêvions les auteurs, nous rêvions sans cesse, révoltés, nerveux limite agressifs dans le parc de la pref. Nous échangions enflammés sur les bouquins de Pouy, de Benaquista, d'Oppel, de Fajardie et tant d'autres. J'ai lu un livre de Patrick Mosconi. Ça s'appelle La Nuit Apache comme un morceau des Beruriers Noirs. C'est d'une force. J'y ai retrouvé toute la vigueur de notre jeunesse. Un peu comme si ce Patrick était devenu un grand frère.

C'est étrange.

Hier je me suis arraché un grain de beauté avec les ongles, au niveau de l'aine. J'ai conscience que c'est dangereux. Une décision. Se suicider à feu doux par grain de beauté, c'est beau.

Tu me manques beaucoup. Les free parties me manquent beaucoup. J'ai entendu un dj durant mes crises psychotiques qui s'appelait Hektor Kafka. La vie me manque. Tu vas me dire qu'il faut tenir le coup. Jamais je n'ai baissé les bras jusqu'à ce moment où on m'a mis en cellule. Sans pour autant me laisser abattre, j'ai décidé de m'abattre moi-même. Heureusement qu'il y a les livres sur lesquels je m'endors parfois du fait d'overdoses.

Un autre que je te conseille : David Coulon. Un dingue, une horlogerie suisse du roman noir. Je te conseille aussi Questin Marc-Louis qui est un mec qui est entré dans un vortex et qui s'est mis à danser frénétiquement sur de la techno hardcore avec une dégaine de poète maudit des années 30. Tu as aussi Clément Dugast Nocto, un mec disparu il y a longtemps qui est une sorte de Rimbaud tatoué. J'ai aussi reçu en clandé une cassette d'un concert d'un certain Yves Gaudin . Tu vois, ici, on n'a pas besoin d'avoir internet pour se nourrir d'art.

Au-dessus de mon lit, j'ai trois photos d'un certain Paolo SC Campanella. Des êtres engoncés dans du cuir et des sangles cloutées.

Tu vois, je suis bien entouré. Ma cellule a un vrai goût de liberté. À quoi bon les réseaux sociaux quand on a des artistes comme ça dans son réduit. Sans parler de mes vigiles. Je sais Nico, tu vas me dire que je suis dingue comme Philippe le ouf. Pourtant j'ai Fab Girard qui tient en respect les enflures à bonne distance de ma taule.

Philippe le ouf qui m'avait tenu à la gorge armant le chien de son flingue au canon écrasant ma chair juste entre mes yeux. « Tu m'as cassé les couilles, t'es trop bavard. Tu voulais savoir ce que c'est d'avoir peur ? Maintenant tu sais. »

Il m'a tenu comme ça cinq bonnes minutes. Je n'ai pas pissé sur moi, je n'ai pas chié dans mon benne, et pourtant Dieu sait que j'en avais le fion ouvert comme un oignon dilaté dans l'eau durant des heures.

Quelle vie ! Ma mémoire flanche. Je ne suis plus qu'une merde. Comme beaucoup j'imagine. Mon corps ne répond plus. Mon esprit n'est plus. Entre les murs, je pense que je ne suis plus Je. Melcent Nobuto, un être imaginaire que je suis sûr d'avoir connu avec joie, m'aurait recadré. Les fantômes ont la présence persistante. De même que Mauro Augusto - excuse-moi Nico, tu as compris que je n'ai plus l'esprit que tu as connu - m'aurait gentiment expliqué que ma complainte de fillette serait à mourir de rire. Ce type très intelligent a cette capacité à relever le niveau aussi au même titre que LeTof Gielen, dans un tout autre registre. 

Je vis avec tous ces fantômes. J'ai l'impression que je les ai connus, que je parle parfois avec eux. Du fond de ma cellule. C'est ma seule issue pour me maintenir jusqu'à ce que mon crabe volontaire ne bouffe l'intégralité de mon être.

Aujourd'hui, durant ma promenade, le ciel était plat, d'un gris crétin. Les arbres défilaient, des champs de choux infusaient leurs odeurs de pets enivrants. Mon corps lourds, ma gueule spectrale et ma vitalité nulle se sont effacés quelques dizaines de minutes.

Je t'embrasse mon Nico.

LH.

PS: N'oublie pas de publier tout ça sur mes comptes des réseaux sociaux. Tu sais aussi à quel point seuls les crétins continuent encore à y exister. Je suis un crétin. Je veux encore exister. »

Commentaires

Articles les plus consultés