le blabla pathétique qui lui sort de la gueule. Journul intime 62.


De la tendresse à en revendre et ce goût de bile au fond de la gorge. De longs mois dans le tunnel pour enfin voir le jour : maussade, gris, cru, déprimant. À quoi bon ? Je me retourne pour rentrer à nouveau dans le tunnel mais il est verrouillé à double-tour. Le panneau cloué sur la porte massive est clair :  « Personne ne repart en arrière.  »

Le scénario que tu a écrit et réécrit mille fois est enfin là, tourné.  « C'est dans la boîte !  » Tu es là avec tous les rushs. Le montage sera difficile et long. La métaphore est lourde. Le film sera un navet. Peut-être même que ce sera un livre, qu'il deviendra un best-seller. Les histoires de fesses habillées de sentiments, de tromperies, de sexe et de tensions exaltent les ménagères de plus de 50 ans qui constituent le lectorat cible des vendeurs de torchons littéraires.

Le Vérol qui hibernait en moi s'est réveillé quelques jours et ça n'est pas beau à voir et à vivre. Ni pour moi ni pour l'autre. Il m'a fallu batailler avec lui, cet enragé, cet écorché, ce malade. J'ai presque vaincu la bête. Il va pouvoir retourner sagement s'endormir quelques part, pas très loin, toujours prêt à jaillir si je ne lui ordonne pas de la fermer.

J'ai un roman achevé et trois autres en cours. Depuis septembre, j'avais perdu la force et l'envie de les écrire. Il a fallu me retrancher sur des billets quotidiens, au fil des humeurs paradoxales. Ballotté comme tout le monde par les à-coups de la dictature sanitaire et démocratique mais aussi lourdement attaqué et trahi par mes propres alliés au sein de ma République Personnelle, j'avais une capacité de création à court terme. Tout en moi-même très loin d'être un saint. 

Paraît-il que ce genre de séisme peut relancer la machine. À mon âge, je sais que si tel est le cas, il faut que ça mûrisse. Autant dire qu'il y a quelques mois ou années qui s'écouleront avant que je puisse faire de ce cauchemar intime un roman digne de ce nom. Il faut pouvoir se dégager de toutes les sensibleries, émotions sur-soniques et pleurnicheries qui siéent à ce genre de situation. Le vécu pour moi n'est que 20% de ma matière première créative. Tout le reste, ce sont les autres, le monde, la horde humaine et ses grandes dents de vampire limées par le blabla pathétique qui lui sort de la gueule.

Cette situation, depuis quelques mois, a rétracté mon esprit, l'a orienté vers lui-même. L'égocentrisme est la marque des faibles. C'est le principe de mon Journul intime, titre parfaitement choisi dès l'automne pour traduire celui que je savais être dans ma situation. J'ai toujours eu du mépris pour la complainte et particulièrement la mienne. C'est un mode de défense pour ne pas se laisser bouffer par ces sentiments de planqué.

Dans mes livres, j'emploie beaucoup le "je" qui n'est autre qu'un "Il". C'est parfois un "Je" qui entremêle tout autre et moi. En inaugurant le Journul intime, je savais que ce "je" ne serait que moi. Rien d'une thérapie ni d'un exutoire. L'écriture n'a jamais eu cette fonction chez moi. C'est un acte naturel, aussi conscient qu'inconscient. Viscéral. Peu importe la situation.

Quand l'année passée j'étais à deux doigts d'une embolie pulmonaire qui aurait pu m'emporter, j'ai écrit sur le lit d'hosto. Ma conscience me le permettait. La jeune infirmière m'avait pété une veine dans le bras en essayant de m'installer le Cathéter. J'en ai ri avec elle. Elle était fatiguée. J'ai ensuite écrit un truc purement politique. C'est ça l'écriture. À tout moment, on le fait. Il n'y a pas de circonstances particulières pour que j'écrive. C'est n'importe où et n'importe quand telle une chiasse qu'on ne peut pas retenir.


 

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