Décrire le seul endroit du monde

 

Léonel Houssam


Le corps adoré par toi est un vieux morceau de bois spongieux dans un marais. 

Ne me regarde pas comme ça. 

La vie viande laissera la place à tes yeux bouffis par la chaleur et les insomnies. Les cils secs sautant à l'heure de la sécheresse. 

Je me retrouve à nouveau dans cette chambre de motel où j'ai vécu avec tous mes personnages. Des années qu'elle m'invite, qu'elle m'offre son lit au dessus de lit côtelé entre marron et Danette goût noisette. 

Je sais que c'est l'endroit de ma solitude, le creux de mon âme. Je sais que c'est là que, accompagné de ces centaines de spectres fictionnels, je suis moi, pissant dans le lavabo, me faisant sucer par une pute famélique gonflable, m'endormant dans l'eau tiède du bain à la limite du coma éthylique. 

Dans le brouhaha d'une climatisation défaillante, les narines bourrées de crottes de nez noircies par la poussière du désert nouveau, je turbine, le corps tripoté par ces putains de fantômes fictionnels. 

Je n'y ai pas vu aussi clair depuis le début. Au départ, je voyais trouble, gangréné par les tourbillons dingos du réel. Les téléphones, les smartphones, les internets, les pickpockets de la pensée, les pas sur les trottoirs, les ivresses avec les cons, les baises avec des cons trempés, je le sais, par l'Univers. Ventre mou. Esprit contraint. Torturé. 

Certains se disent d'un genre qu'ils disent contraire à leur conscience d'eux-mêmes. Comprendront-ils que je ne suis pas de ce monde. Depuis vingt ans, je le sais, je suis d'un autre monde que je connais mal parce que j'y suis enfermé dans une chambre de Motel. 

Incapable de me rappeler l'avant de mon incarcération, je n'en ai un aperçu que par la lucarne bruyante et déchirante d'une télévision fixée au sommet du mur qui fait face au plumard. 

C'est là que je vis. C'est là qu'est ma réalité. J'y connais tous les meubles. J'y connais tous les résidents depuis que le Motel, et cette chambre particulièrement, existent. Je sais qui s'y est fait violer, voler, qui s'y est ennuyé, qui s'y est senti bien, qui s'y est planqué, qui y a fait la fête, qui s'y a fait assassiner. Je n'ai pas besoin de décrire cette chambre. Je l'ai décrite dans tous mes livres. Je l'ai vécue dans tous les livres que je n'ai pas écrits, pas terminés. 

Cette chambre existe. J'y vis. Aucun des lecteurs ne peut y croire, parce que les lecteurs n'existent pas. Ils sont une illusion créée pour me pousser à écrire et décrire le seul endroit du monde, la chambre de Motel. 

Elle est l'univers. Elle est la vérité de ma vie. Je vous envoie ce message depuis ce lit où j'écris des mots qui, finalement, ne seront lus que par moi.

Projet en cours avec l'artiste Insolo Veritas


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