La femme qui hurle

 

Mon autre rive


C’est une première pour moi. Celui d’écrire mon autre rive. Cet ailleurs immédiat, cet endroit où je suis le seul à pouvoir accéder.

Qui sont ces gens ? La facilité avec laquelle les bienheureux ou les pas trop malheureux se gaussent de leur esprit de famille est déconcertante. Ici, nous sommes chez les Gourdant. Une phratrie comme il y en a tant d’autres dans le désert de Cosek. Ce dernier s’étale sur de vastes territoires situés entre les Montagnes de L’Arène et le Delta asséché de La Native. Les maisons y sont clairsemées. Elles ont toutes été habitées dans tes temps reculés par les citoyens d’autrefois. Des fermes, des stations-service, des motels, des hameaux perdus ou encore des petites villes qui furent les lieux de vie d’êtres humains désormais éteints.

Ici, la photo de la Fête de la Pluie. Un jour joyeux pour tous ceux qui font partie de la Confrérie des Derniers Jours. Les Gourdant y ont un rôle essentiel, surtout Marc, le père de famille qui y officie en qualité de Pasteur Solidaire , l’échelon le plus élevé de la hiérarchie. Il est plutôt jovial, excessivement amical avec ceux de ses voisins qui lui reconnaissent son titre. Ses deux enfants, un garçon et une fille sont nés de deux mères différentes. Ses deux femmes. Natacha est décédée à l’âge de 32 ans. Jacqueline, à 28 ans, est toujours vivante et en charge de l’éducation des gosses. Dans cette belle maison décatie qu’ils ont investi lors des trois années de feu, ils s’organisent de telle manière à pouvoir manger tous les jours. Un élevage de lapins, de poules et un potager qu’il faut arroser en tirant dans la nappe phréatique.

Cette Fête n’est pas organisée pour attirer la pluie. C’est plutôt pour la repousser. Lorsqu’elle s’abat ici, ce sont des trombes d’eau monstrueuses qui ravagent tout. C’est donc avec ferveur que l’on prie pour que le ciel ne se charge pas d’humidité, de ces nuages impétueux qui se déversent violemment sur tout ce qui pourrait contribuer à nourrir la famille.

Le clown, c’est bien sûr Oncle Hubert. Il adore tenir ce rôle. Ça amuse les enfants jusqu’à ce qu’il exécute les rituels de conjuration de la pluie. Pour cela, il capture une poule qu’il transperce de part en part avec un énorme pieu métallique. C’est la partie qui fait encore rire les enfants. On boit de l’alcool, tout le monde, y compris les petits, on mange, de la volaille et du lapin ainsi qu’un ragoût de choux et d’oignons aromatisés aux herbes amères de l’Oasis du Solstice. Oncle Hubert joue de la guitare et chante tout en jetant les entrailles sur ses spectateurs amusés.

Quand l’ivresse finit de bousculer  les corps et les esprits, on entend le moteur pétaradant de la grosse voiture de Gustave, le cousin de Marc. On se précipite à la fenêtre pour le regarder se diriger vers le coffre, l’ouvrir et en sortir le corps gesticulant d’une femme. Oncle Hubert grogne, il trépigne. Tout le monde se tait et fixe Gustave tirant le corps ligoté de l’inconnue qu’il finit par déposer sur le pas de la porte. On dit alors aux enfants d’aller à l’étage. Ils rechignent généralement. « Vivement que j’sois grand pour tout voir. »

On détache les chevilles de la femme avant de les ligoter à nouveau sur deux poteaux fixés fermement au sol et qui permettent d’ouvrir pleinement les cuisses. Oncle Hubert, toujours vêtu de son costume de clown, n’a plus qu’à extirper son pénis par la braguette ouverte et se mettre en position sur la femme qui hurle, se débat et tente de fuir. Oncle Hubert y va fort, la pénètre sans frein et jouit très rapidement. Personne n’est terrifié même si les rires se sont estompés. « Je demande au Très-Haut de repousser les colères du ciel. Par ce sacrifice, nous t’implorons de nous épargner et de nous permettre de vivre encore et toujours. » A ces mots, il dégaine un poignard qu’il plante dans la gorge de sa victime sacrificielle qui tente de crier dans le flot jaillissant de son propre sang.

Les nerfs se relâchent quand enfin elle offre son ultime râle.

A l’étage, malgré l’interdiction, les enfants ont tout vu par la fenêtre. Ils ont pouffé de rire en voyant le zizi d’Oncle Hubert. Ils ont un peu fermé les yeux en voyant qu’il l’entrait dans le corps de la dame. Mais quelle privilège de voir une scène si fantastique ! Ils s’en souviendront longtemps et cela, c’est sûr, leur donnera envie d’être à leur tour à la place de leur oncle.

On laisse le corps ainsi plusieurs jours d’affilé, jusqu’à ce que l’état de décomposition permette la prolifération de son odeur infecte tout autour et dans la maison. « Les cadavres font déguerpir la pluie. » ricane Marc. Et ça semble marcher puisque depuis 6 mois, pas une seule goutte n’est venue du ciel. Ce dernier reste d’un bleu uniforme aux heures les plus chaudes du jour. Gustave, pour être récompenser de l’apport de la proie, reste à la maison et mange, boit tant qu’il veut avant de repartir avec l’Oncle Hubert. Tous deux s’entendent comme larrons en foire. La voiture est très vieille et a besoin d’être souvent réparée. Mais elle fonctionne tout de même et permet de faire de longues distances à travers le désert. Ils ne savent pas de quoi demain sera fait mais en qualité de membres de la Confrérie des Derniers Jours, ils se savent craints et respectés par les habitants du désert. 


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