Les viscères pourries de mes illusions

 

Léonel Houssam

Je vais vous informer d'ici quelques heures sur mon nouveau livre co-réalisé avec l'excellent Insolo Veritas. 

Cependant je tiens à faire une mise au point, non seulement sur ma situation en qualité d'écrivain mais aussi sur les choix que je ferai à l'avenir. 

"L'ablation de mon prépuce mental", c'est le titre de ce nouveau livre. Au-delà de son contenu, ce bouquin est le résultat d'un basculement personnel. La vie continue sa course de plus en plus folle, à vitesse grand V et ne laisse que peu de temps... 

Insolo Veritas est une rencontre artistique, certes, mais aussi une rencontre amicale, radicale, philosophique, et presque politique (au sens noble du terme). Lui comme moi sommes persuadés d'une chose: attendre est une flèche qu'on se loge dans le cœur. Fantasmer une vie d'artiste est un coup de hache que l'on assène sur son propre crâne. Son parcours et le mien sont bien différents. Pourtant notre point commun, c'est l'action, le "faire" plutôt que le "dire", "l'agir" plutôt que "l'espérer". 

J'ai parfois connu quelques succès d'estime, des succès commerciaux ou des succès médiatiques. Ils sont rares et ils ont transformé en bien et en mal mon approche de l'écriture. 

J'ai bénéficié, avec cette petite notoriété, de bons conseils, de magnifiques rencontres. Je me suis pourtant leurré. Il y a 10 ans, au plus fort de certains succès, j'ai un peu pris le melon tout en souffrant dramatiquement dans ma chair et ma psyché, au point de commettre des actes qui auraient pu me coûter la vie et qui, j'en suis certain, auront des conséquences fatales sur ma santé dans un avenir proche. 

J'en ai presque oublié l'écriture, ce pourquoi j'écrivais. J'en ai oublié mon âme, je me suis accroché comme une moule à son rocher à ce torrent incontrôlable dans lequel j'étais emporté. J'étais devenu la caricature de moi-même. C'est pourquoi je me suis tué symboliquement en 2013 en éliminant Andy Vérol. 

ça n'était que le début d'un processus dont l'issue était incertaine. Après le torrent puissant vint le marécage boueux (ce X de boueux est un vestige d'un âge lointain de la langue qui n'a à ce jour plus aucun sens. Et pourtant le X est bien là), infesté de bestioles grignotant mon être, les lambeaux de ma jeunesse, les chairs brûlées de mon âme, les viscères pourries de mes illusions. Durant des mois et des années... alors même qu'un miracle avait eu lieu dans ma vie intime. Ce miracle que j'ai consommé comme une drogue, que j'ai snifé, que j'ai brûlé jusqu'à la lie... Dans un aveuglement total, pourri par un égocentrisme (cette maladie de longue durée) dont je ne parviens jamais à me débarrasser. J'ai pourtant écrit. En devenant Léonel Houssam, je suis revenu au confidentiel, à l'anonymat. J'ai écrit. Seconde Chance, DATACENTER, Je, Gosse de Nouzonville, Notre République, et tant d'autres textes publiés ou non. J'ai écrit à côté de la plaque comme depuis toujours. J'ai écrit avec amertume au début. Cette amertume que toute personne qui a connu la lumière ressent quand elle retourne dans l'ombre. Une amertume donc... qui est devenue ce fil d'Ariane, qui est devenue une force. J'avais connu le sucré, le salé, et désormais, peu à peu, je commençais à déguster l'amertume, cette saveur exigeante nécessitant beaucoup de maturité pour l'apprécier. Elle est devenue ma saveur préférée, et de loin. Elle est devenue le carburant de mes écrits. 

Dans ce marécage hostile où je me suis embourbé de plus en plus profondément, gâchant un miracle qu'on m'avait offert , j'ai découvert des choses étincelantes. Il fallait s'accrocher à ces petites choses qu'on ne décèle pas au premier regard. J'ai pointé les yeux vers ces choses, je les ai regardées attentivement, je les ai cherchées quitte à en crever, à étouffer dans la boue. Et j'ai étouffé. Et j'étais heureux d'étouffer... 

Le désir de mort est en réalité un hurlement, un appel strident pour que la vie revienne, qu'elle revienne plus belle, comme neuve, comme personne ne peut l'imaginer. Etre FATALEMENT vivant. Etre vivant tel un affamé. Car, je le crois, même si je ne l'ai pas vécu, on apprécie un million de fois toute nourriture quand on est affamé. On découvre que le bonheur se résume à des instants brefs, qu'on les provoque ou qu'on les vive par hasard. 

En mai 2021, je pense que j'étais au fond d'un trou. Je crois que j'étais prêt à mourir avec la joie de ceux qui sont enfin libérés d'une geôle merdique. J'ai proposé une collaboration à Insolo Veritas dont les œuvres parlaient exactement à mon être tel qu'il se consumait. Il m'a fait l'honneur d'accepter. Et j'ai écrit sur 24 de ses toiles qu'il m'a gentiment confiées. Nous étions en contact depuis longtemps via les réseaux sociaux sans pour autant aller au-delà d'un respect mutuel et d'une admiration réciproque. Nous ne nous étions jamais rencontrés en "réel". Mais tout a changé. J'écrivais sur chacune de ses toiles dans mon coin. J'écrivais pour ressusciter. ça peut paraître christique. Et c'était christique, que ça vous plaise ou non. ça l'était. 

J'ai arrêté la télé, je me suis gavé de films (2 à 3 par jour), j'ai un peu repris la lecture, j'ai envoyé chier le monde, le covid, les pour, les contre, les pro-vax, les anti-vax, les gilets verts, les gilets jaunes, arc-en-ciel, les élections, l'économie, la politique, les lecteurs et surtout les éditeurs...

J'en viens à ce qui va se passer. Mes alter-ego artistiques, humains, philosophiques, vitaux sont des personnes comme Insolo Veritas, Dystophotographie, Pascal Dandois, Non-Stop, Lionel Belarbi, Faustine Sappa, Al Arrache, Thomas Prigent, New Joebassin, Mathieu DantecPatrice Kornheiser, Thibault Willigens, Kieran Wall, Eric Neirynck, 上野えき 五十四, Dany Bail, Marc-louis Questin, Régis Clinquart, Paolo SC Campanella, Necro Mongers, Patrick Mosconi, David Coulon, Gérard Du Pont DelEurope, Hektor Kafka, Yves Gaudin, Yan Kouton et j'en oublie beaucoup (ma mémoire instantanée est faillible). 

Le temps est trop court pour ne pas le dire... J'ai eu la chance que beaucoup d'écrivains n'ont pas eu. Des éditeurs m'ont conseillé, certains ont loué mon style, ont pris du temps pour "débriefer" la lecture des manuscrits que je leur ai envoyés. Mais tous ont eu leur propre avis, sur ce qu'il fallait ou non écrire, ce qu'il fallait retravailler, réécrire. Leurs avis n'étaient jamais les mêmes. L'un focalisait sur ci, l'autre sur ça. Ils m'ont demandé - souvent à juste titre - de "refaire" à la sauce qu'ils trouvaient meilleure... Et je les en remercie. Mais, je cuisine moi-même. Et je préfère échouer auprès de ceux que j'ai invités pour déguster le plat que je leur ai préparé. Je pense finalement que je n'ai pas besoin d'un grand-chef pour préparer des mets à des convives que j'ai conviés. Ce grand-chef me dira que le canard, ça se mange rosé. Mais moi je n'aime pas le canard rosé. Je le trouve un peu dégueulasse en bouche. Je l'aime assez cuit, pas trop mais pas rosé. Et lorsque j'invite des personnes à le déguster selon mon procédé, j'ai affaire à des "amis" et ces amis me diront toujours ce qu'ils en pensent vraiment. Ils me diront que c'est trop cuit, pas assez cuit ou tout juste comme ils aiment. 

La métaphore est simple mais elle parle d'elle-même. Mes choix sont les suivants: je souhaite privilégier l'autoproduction, comme le font tant d'artistes. Tant pis pour les coquilles, tant pis pour la typo qui ne respecte pas les règles de "l'art" (la langue elle-même peut être un jeu évolutif permanent, alors pourquoi pas la typo, merde! Marre des étudiants en "ce qu'il faut faire en édition de livres"), tant pis pour les dialogues "en trop", les descriptions "pas assez ci ou ça", tant pis pour "le scénario qui gagnerait à être plus fluide avec un climax plus percutant", tant pis pour "vos écrits ne plairont pas à nos lecteurs", tant pis pour "nous n'avons pas les moyens de faire une grosse com'", tant pis pour "tu gagnerais des putains de prix littéraires si tu acceptais de couper tel chapitre ou remanier tel paragraphe". Tant pis. Je n'ai jamais écrit pour ça. Je n'ai jamais écrit pour être un "artiste", un "écrivain", un invité de la Grande Librairie ou le lauréat du Prix Con-Court. J'écris parce que c'est viscéral, parce que c'est vital, parce que je vis des extases doucereuses, délicieuses ou douloureuses quand j'écris... A ce jour, la seule éditrice qui compte pour moi est Faustine Sappa. Mon éditrice à moi. Et Gérard Du Pont DelEurope. Et Victorien qui n'est plus éditeur. Et Patrick Mosconi, mon grand frère. 

En guise de conclusion pour cette auto-branlitude publique, je dirais que rien ne sert de... Parce que RIEN NE SERT.

Commentaires

Gérard a dit…
Une déclaration qui compte et qui nous touche !

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