J'admire l'accident - Une explication de la fin inévitable de l'Humanité - Confessions inutiles 2

 

Fin du monde


Donner du chien à manger aux loups. Offrir un surfer à un requin et titrer en Une du journal local: "Les branleurs remisés en enfer: un squale témoigne." 

En attendant mon rendez-vous au centre d'addictologie, j'essaie de survivre à la vision de ce bâtiment en taule à travers la fenêtre sale. La zone industrielle où campe ce centre pour taulards psychiques est absolument à l'image du monde. Une planète entière réduite à l'état de mégapole tentaculaire. C'est dans un de mes romans - "Evite de mourir" -  à paraître en 2023 (si je parviens à l'achever) que j'ai écrit cette phrase que j'ai fait mienne: "J'admire l'accident". 

Depuis plusieurs années, je publie des photos sur les réseaux sociaux. Chaque titre débute par "Dégradé de..."

Ceci n'a pas de rapport avec un dégradé visuel. Il faut prendre ce terme dans un sens précis: je montre, jour après jour, depuis 2014, l'état de dégradation progressive du monde qui m'entoure. Cette dégradation offre des instants de beauté, des instantanés de magie fugace. Et c'est en cela que la fin de notre monde se dessine. Par étapes, peu à peu, par petites touches qui, au quotidien, pourraient paraître invisibles. A l'inverse, sur un temps long, cette dégradation est rapide, accélérant sans cesse de mois en mois, d'année en année. 

Beaucoup pensent que l'Homme saura s'adapter "comme il l'a toujours fait". Mais non, l'Homme ne s'est pas fait à tout. Les catastrophes étaient localisées par le passé. Quand un groupe humain disparaissait, un autre, à l'autre bout de la planète, bénéficiait de conditions beaucoup plus favorables et perdurait, se développait et prospérait. 

Aujourd'hui, l'accident est global. Et ceux qui pensent que la fuite vers la Lune ou Mars permettrait à nouveau à quelques-uns (les hyper-riches en l'occurrence) de sauver leur vie se mettent un doigt dans l'œil. C'est une tentative désespérée pour échapper à la folle course dans le mur. 

Tout ça pour dire que je n'écris que cela depuis 20 ans. Qu'il s'agisse de mes livres plus "intimistes" ou de mes romans dits "d'anticipation noire" ou "dystopiques", ils annoncent l'irréversibles, ils décrivent un passé souvent remisé sous le tapis, un présent généralement redécoré par les bourgeois qui financent l'art et un avenir que je fais plus que percevoir. 

Pour ça, bien évidemment, je lis beaucoup: journaux et revues scientifiques, généralistes, politiques, géopolitiques, romans (noirs, SF ou autres). Mais je m'attèle également, et mes photos en témoignent, à regarder le monde par le petit trou de ma lorgnette. Chaque jour, où que j'aille, je crée des clichés qui traduisent ce que j'ai vu lors d'instants fugaces. J'utilise généralement un à deux filtres (jamais plus) afin de traduire exactement ce que mon esprit a perçu. L'image brute ne traduit généralement pas ce que mon âme redessine quand je regarde un paysage, un passant, un monument, etc. 

Ce n'est pas un travail et ça n'a pas vocation à être une démarche artistique égocentrée. C'est simplement quelque chose que je fais malgré moi, avec un outil numérique dont je dispose mais que je pourrais remplacer sans mal par un crayon et du papier si un jour cet outil est inutilisable. 

Cette démarche n'a rien d'individuel même si elle est solitaire. Je vis cela comme une action collective. Ce que je fais, des milliers d'autres le font. Et ensemble, bien que nous ne nous connaissions pas, nous créons un témoignage planétaire de notre propre extinction. Je suis l'un des millions d'atomes formant ces molécules qui veillent à admirer, annoncer et graver notre extinction progressive. 

Je ne fais que ma part de ce travail funeste collectif. Sans doute ne verrais-je que le commencement de la fin de notre espèce sur Terre. Cela devrait prendre plus que des décennies, sans doute encore quelques siècles. Mais je suis sûr d'une chose, si l'on me prête vie, je verrai une succession d'effondrements successifs qui éveilleront de plus en plus d'êtres humains. 

La fatalité est une valeur essentielle pour moi. Elle n'est pas négative. Elle est positive. Elle engage l'être entier. Elle est l'acceptation de la douleur provoquée par des dizaines d'uppercuts que l'on se prend dans la face sans rien pouvoir y faire. 

Accepter de s'effondrer sur le sol. Pour ne plus jamais se relever... 


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