Un kyste logé dans la gorge - Chroniques des Parallèles 16

Leonel Houssam


Je n'ai compris la force de la mémoire qu'au moment où j'ai eu conscience que je la perdais. Un peu comme une voix dans la tête à laquelle on s'habitue, une présence envahissante mais familière qui s'éteint petit à petit. La jolie musique se tord, s'étire, se recroqueville, grossit tel un kyste logé dans la gorge... Avant d'étouffer. Deux mains crochets écrasant la trachée.

Les signes étaient clairs mais je mettais ça sous le compte de la fatigue, d'un certain stress et d'un trop-plein de soucis quotidiens s'accumulant. Pour oublier que j'oubliais, je buvais. Quand j'étais ivre j'avais le souvenir de pensées et de moments qu'en réalité je n'avais jamais vécus.

La panique est venue comme une vague lente des tréfonds de mon âme. En plein rêve. Un de ces rêves dont on se rappelle au réveil et qui reste toute la journée même s'il s'atténue d'heure en heure. "Ouf, ce n'est qu'un rêve, je n'ai pas perdu la mémoire." j'ai gardé en souvenir un rêve où je perdais la mémoire... Et ce fut le début de mon cauchemar. Je n'ai plus jamais pu sortir de ce rêve. Rien n'y faisait sauf l'alcool consommé à outrance au point de disparaître dans des comas éthyliques terrifiants.

Plus possible d'aller travailler. Impossible de voir des amis, de parler avec des gens. Je ne me rappelais que de ça. De quelques moments de mon enfance parfois. Dormir à jeun m'était devenu insupportable. J'étais prisonnier de ce rêve. Et ce fut ainsi durant des mois. Plongeant inévitablement dans la dépression, l'ivrognerie, les drogues diverses, pour me tenir éveillé, pour comater, pour oublier que j'oubliais tout.

C'est au fond du gouffre et au seuil de mettre fin à cette souffrance perpétuelle que j'ai croisé un homme qui s'appelait Mimou. Au bar. J'avais l'impression de le connaître, non comme une personne réelle mais comme un personnage d'un roman que j'avais sans doute lu des années ou décennies plus tôt.

À la huitième pinte, j'ai engagé la conversation avec lui. Fascinant.

Il me sauva dans la torpeur de l'ivresse :

"Léonel, tu n'as pas perdu la mémoire ici, tu l'as perdue ailleurs, dans un autre toi. Un toi d'un autre monde. Les rêves sont faits pour ça. On n'en parle jamais sinon ce serait l'émeute planétaire. Tu es entré dans un toi d'ailleurs qui a perdu la mémoire. Dormir et rêver, c'est passer une porte vers des mondes parallèles où une infinité de toi vivent d'autres choses, sont confrontés à tant d'autres situations. Tu es entré si profondément dans ce toi là et lui est entré si fort en toi que vous n'avez pu vous détacher lors du réveil. Des lambeaux de son âme se sont lovés sur des lambeaux de ton âme. Après tout il est toi et toi tu es lui... Mais tu as chopé sa pathologie. Un Alzeimer ou quelque chose comme ça.

- Et comment puis-je retourner dans mon moi d'ici ?

- Tu ne pourras jamais.

- Comment le sais-tu ?

- Parce que je suis moi-même coincé dans l'esprit d'un moi d'ailleurs.

- Et ça se traduit comment ?

- Je massacre des gens, des personnes vulnérables.


- Tu es un assassin ?


- Pas moi. Mais mon autre moi si."


J'ai ressenti un soulagement immense quand il m'a révélé tout ça. C'est une joie incroyable qui m'a submergé. Et une amitié sans limite est née de cette conversation miraculeuse.


Il est vrai que désormais je l'accompagne partout y compris lorsque son autre moi épanche sa soif sanguinaire... Mais ça, c'est une autre histoire... 

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