Black Bloc & White Trash
La gueule de bois est-elle un plus pour la création ? C'est ce genre de question qu'on se pose quand on a la gueule de bois. Donc ! Donc ! Donc ! J'essaie de faire bonne mine en traversant l'open space, en espérant que je ne croise pas un manager un peu trop bavard. On ne peut pas rembarrer un supérieur comme on le ferait dans un bar ou dans un bal.
Dans l'enveloppe, la page jaune pliée en deux.
J'hésite, j'ai la flemme. Je sais que c'est pas bien quand on a une migraine pareille, mais j'ai envie de chips. En chemin pour le distributeur de conneries, j'ouvre l'enveloppe et découvre "Jules". Mais non ! Jules. Bon, je ne sais pas encore à quel temps je vais en parler.
Jules est un petit homme trapu, poilu, aux yeux boursouflés, aux lèvres craquelées, au nez piqué, aux dents sales, au menton rentré recouvert par une barbe éparse. Seulement, Jules porte un superbe costard gris à carreaux noirs, cravate à pois, Weston marron. Banquier de profession, il salue la loi du marché, le monde capitaliste. Il est cependant très ému par les animaux de compagnie qui sont morts dans les conflits récents. Même s'il y a des dividendes à toucher avec les entreprises d'armement, ça le touche de penser qu'un chien qui n'a rien demandé à la folie des hommes soit mort dans un bombardement.
Jules a deux frères... et pas des moindres. Ils sont des triplés. Eliot et Léandre.
Eliot traîne dans les milieux identitaires canal historiquement hooligan. Il a fait de courts séjours en prison pour des faits de violences et d'agressions diverses. C'est Jules en testostéroné à bloc. Une brute à l'extérieur, une crème à l'intérieur.
Léandre, lui, c'est le gauchiste antifa sonique. Une sorte de pile ou face se joue entre Léandre le Black Bloc et Eliot le White Trash. Au milieu, si on peut dire, Jules pourrait être l'arbitre mais non. Il est le punching-ball lors des fêtes familiales. Ses deux frangins, qui ne peuvent pas se saquer idéologiquement, ont un ennemi commun : Jules, bien évidemment.
Bien sûr, ça n'est pas fait trop méchamment, c'est la famille, quand même ! Le papa de ces trois forces contraires, c'est l'ouvrier qualifié épuisé qui vote maintenant pinard "plutôt que sociolards, droitards, goulaguistes ou fachelards !"
Maman n'est pas seulement celle des triplés, elle est la maman du monde entier, avec les bons gâteaux, les plats en sauce et le jus de chaussettes hyper sucré accompagné de la bouteille de mirabelle...
Je garde ça. La gueule de bois ne favorise décidément pas la création...
Chronique humaine 6











Commentaires