Sa chimie sur mon cerveau

Leonel Houssam

Avant tout ça, je tergiversais beaucoup, j'étais très inquiet. Chaque jour était un petit calvaire avec cette peur de faible intensité qui ronge un peu les tripes. On essaie des trucs, parfois. Souvent, on se surpasse quand on vit une catastrophe, une agression ou un accident. Mais globalement, on se mange un peu les boyaux avec la trouille.

Je bossais beaucoup, beaucoup trop. Ça pourrait paraître un peu débile de se plaindre quand on a été un petit manager dans le secteur bancaire. Mais je n'en ai pas honte. J'en suis fier. C'est vrai que je ne m'usais pas beaucoup le corps, mais le cerveau ! Ça, le cerveau, il en prenait un coup.

Avec les nouvelles lois, c'était plus compliqué de faire des choix franchement libres. Il était évident que je n'étais pas du bord des autorités. On n'avait pas la même approche du monde. Je ne leur en voulais pas. C'était leur truc. Enfin bon, il fallait se taire, rentrer gentiment à la niche si on ne voulait pas avoir de problèmes. Si tu entrais dans l'engrenage de la désobéissance, ils te lâchaient la meute. Les fuites de données personnelles, la divulgation de conversations chiffrées et verrouillées... Et puis des rencontres miraculeuses, des belles filles qui s'intéressent à toi, avec qui tu t'envoies en l'air. Et bing, ton mariage explose, tes gosses te détestent...

Ils vont vite pour te faire taire. Alors, plutôt que de vivre ça, tu choisis de te taire de ton propre chef. Finis les petits commentaires nerveux sur les réseaux sociaux. Terminées les longues diatribes de révolte acharnée contre le système... Pour moins que ça, on te fiche, on t'attend au virage et on te dirige avec de longues ficelles. L'angoisse, l'envie de tout arrêter.

Ma piole était en face du bar, de l'autre côté de la rue centrale... Le bitume était éclaté. La maison en bois avait un toit en tôle. J'habitais dans cette fournaise au troisième et dernier étage... Ventilo-glace, ça ne suffisait pas... Et comme je n'avais pas de job et pas d'autres amis que les ivrognes d'en face, j'y allais, j'y passais mon temps de 11 heures du mat' à 2 heures du mat'. Avec ma retraite de gendarme, c'était tout ce que je pouvais me permettre pour vivre juste au-dessus du seuil de dépression. Ça me glaçait le sang d'être seul, hiver comme été, dans ce studio bordélique qui puait la vieille huile végétale...

La ville était plus une artère entourée de pâtés de maisons au milieu de champs de blé infinis... Rien n'allait avant ce traitement. Le boulot, les trajets, les soirées avec des coupures d'électricité récurrentes. L'occasion de reprendre la lecture.

Quand tout allait plutôt bien, j'avais délaissé les bouquins. Comme tout le monde, je jouais à développer ma relation avec l'IA et, le reste du temps, après les heures de travail, je picolais déjà. On ne voyait plus grand-chose. On était un peu insensibilisés. La mort était partout dans les écrans et on ne rêvait que de performance, de réussite, de plus, de plus, de tout... Enfin, la plupart. Bref.

Le traitement redessine tout ça avec le talent de sa chimie sur mon cerveau. Ça enveloppe. Ça développe les sens les plus cachés, ceux qui font perdre l'esprit dans une rivière d'espoir et de rêves fabuleux...

On me dit de fermer ma gueule. Oui, alors je me tais. J'en dirai plus... Ou pas.

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