Fuyant l'apocalypse avec des sachets de bonbons
©Photo de Yentel Sanstitre
J'avais
tellement peur de ne plus avoir de l'argent, de finir dans la rue,
d'attraper un cancer, de finir seul, de souffrir, j'étais effrayé à
l'idée de m'ennuyer, de rester enfermer dans l'appartement mal chauffé,
j'avais peur. J'avais la frousse d'avoir un accident, d'avoir des
membres sectionnés, d'attraper une maladie vénérienne, une cirrhose, de
ne plus jamais trouver de travail, d'être tué dans une guerre, dans un
accident nucléaire, j'étais si fier de me cacher dans mon lit, me
blottir dans ma bile, m'enfouir dans les petits pots dans le frigo, les
paquets colorés de biscuits, de chips, j'avais peur, j'allais mourir
des produits gros, des trop sucrés, des ondes de la télé, de la wifi,
du téléphone à clapet, du téléphone à écran, je me baignais dedans,
bien, dur, je me branlais dans mon effroi, j'avais peur d’un incendie
qui brûlerait toutes les archives, tous les papiers et comment je
ferais quand tout serait saccagé ? J’avais peur des noms de produits
bizarres dans la nourriture, dans les cosmétiques, dans les matelas.
J’avais si peur, et j’avais mal au dos, au crâne, au bide, j’avais si
peur que ça devienne grave ces douleurs, que ce soit les prémices du
début de la fin. J’avais peur, mais j’avais tout le temps faim, fuyant
l’apocalypse avec des sachets de bonbons, des branlettes en réseau, des
émissions de télé où des putains désargentées jouaient les stars
lobotomisées siliconées, j’avais peur, je bouffais tout le temps, puis
je régimais tout le temps, puis je hurlais devant des matchs et je
votais 1 pour Kévin et 2 pour Anna et 3 pour Mourir, un temps, je
faisais le juré de ma vie, je me mettais des tas de lumières rouges
pour m’éliminer. Je me camouflais encore dans la couette, j’achetais à
l’aveugle des fringues moches qui compensaient l’arbuste sans feuille
de la trouille et je souriais, je fou-rirais, je n’invitais plus que
les acariens, les poussières et parfois une plante verte. Mais jamais
des amis et leurs maladies, leur manie de se mettre en avant, leur
voyage, leurs soucis en coup de vent, ils n’avaient pas peur, pas plus,
pas autant, ils avaient l’air de trouver ça normal de marcher, d’avoir
deux bras, deux jambes et se foutre la viande dans un autre pour jouir
dedans, parfois souffler baver soupirer grogner dans le cou dans les
seins dans les cheveux. J’avais peur qu’on me quitte alors je ne
restais avec personne. J’avais peur d’aller pécho ailleurs alors je ne
m’engageais jamais. J’avais peur des guerres et surtout j’avais peur de
dire que je n’en avais rien à foutre de la souffrance du monde, des
conflits armés, des SDF, des chômeurs ici, des orphelins là. Moi je
voulais qu’on s’occupe de moi, exclusivement de moi, et ensuite je
penserais aux autres. Mais les autres, j’avais peur des microbes sur
leurs mains… Au fond, je finis par croire en Dieu pour qu’il me file
une place au paradis de ce qu’il voudrait, juste un coin pénard avec la
même chose que sur Terre, les sentiments de lâcheté et de peur en
moins…
On
retrouva mon corps brûlé sur mon canapé. Il ne me restait que les
pieds, les chevilles, les mollets et les genoux intacts. Une pendule
molle se balançait au-dessus de ma dépouille pillée par le feu. On dit
que je ne suis jamais mort, parce que je ne suis jamais né. Je suis
celui qui écrit, mais je suis aussi toi, celui qui me lit.
Léonel Houssam.
Commentaires