La police l’a interrogé, elle a aussi coffré la pute.

                                                               ©Photo de Yentel Sanstitre

L’hôpital était tout confort. Les infirmières étaient physiquement et humainement décevantes à quelques exceptions près. Après cinq à six jours de souffrance certaine, tout s’est rapidement remis en ordre. Martin languit de tuer le temps chez lui, d’allumer un barbecue, faire griller quelques merguez et chipos achetées en barquettes de vingt au Carrefour du coin. «C’est sain, relaxant, Janie fera mon affaire » Elle s’est inquiétée. Il a invoqué un traquenard fomenté par Marc. La police l’a interrogé, elle a aussi coffré la pute. C’est bon l’odeur de porc grillé au feu de bois. Les voisins vivent, vaquent, ils sont heureux de faire briller la carrosserie, d’installer des penderies, de repeindre leur jardin, de tondre leurs tapis. En attendant la famine, ils le toisent, traversent sa rue et sifflent pour indiquer qu’ils vont l’emmerder. Martin pense qu’on va l’assaillir, via des émeutes créées sur Facebook, des printemps de voisins dévalant sur sa propriété et déchiquetant son canapé, ses packs de bine, la trombine touillée par la haine. Il n’y a rien à dire de Martin, ce jour-là, avec son énorme pansement à la gorge, ses déplacements pénibles en béquilles –la fille lui a pété la cheville- il ne peut faire qu’une chose : profiter des plaisirs du réchauffement climatique. Canicule, esprit provençal au cœur du Far-North.  L’angoisse le tétanise à nouveau. Il a le ventre une fois de plus gonflé par les gaz d’anxieux. Une voisine parle de coiffure avec une passante. Elles sont amies, du moins en apparence. L’une reproche à l’autre de ne pas être allée chez Coup’tif et de l’avoir esquivée pendant les soldes. Elles sont une texture d’esprit de chimpanzés, c’est clair, cash, c’est sans discussion possible. Un nouvel incendie se déclare dans les quartiers nord précédé d’une explosion. Les sirènes lointaines égayeront la journée, mettront un peu d’action dans le quartier.
A la grille, le gardien de la résidence pavillonnaire, Agacio, n’a pas reconnu Martin immédiatement.

-          Vous allez rendre visite à quelqu’un ?
-          Non je rentre chez moi…
-          … hum ? Euh… Ah !!! Martin, mais qu’est-ce qui vous est arrive?! Bordel on va mis la misère !
-          Grosse marave oui. La ville est dangereuse… Enfin là j’étais à Rennes, et c’est franchement aussi insécurisant qu’ici.
-          Bon sang oui. C’est là-bas que Madame Haurt est morte l’année passée. Son corps a été retrouvé calciné en pleine rue.
-          Dégueulasse.
-          Alors heureux que vous soyez de retour. Me disait, il est où ce bon Martin !
-          Merci.
-          Je vous en prie.


La grille s’ouvre lentement. Le chauffeur de taxi roule au pas. Les rideaux des fenêtres des maisons ondulent au passage du survivant. On commente sûrement, on spécule. Il s’arrête devant sa porte. Un jeune noir athlétique passe la tondeuse. « Qui fout là çui-là ? » Aurélie imite l’Orang-outan et se ravise lorsqu’elle voit son beau-père jaillir du taxi. Ça sent l’ébène, les feux d’artifices, les cendres de charbon. Ça semble s’être amusé en son absence, mais alors, à quoi cela servait-il qu’il tue l’angoisse dans les crocs d’une cruche enragée ? C’est à peine si l’on fait attention à lui. A peine Janie lui a-t-elle « smaké » ses lèvres sèches qu’elle est partie rejoindre Natacha, sa meilleure amie dans le salon, en pleine séance de massage aux huiles essentielles. « Salut l’éclopé. Alors de retour ! » Son fils n’est pas là, il est chez sa mère pour une longue durée. L’absence ne lui pèsera pas beaucoup, les états d’âme de son gosse l’emmerdant plus qu’autre chose. Ce qu’il lui faut, c’est son lit, ses journaux entassés, sa lumière tamisée et le vieux ventilateur éructant à cinquante centimètres de sa face. Il dépose ses sacs sans les déballer. Le matelas est ferme, l’ennui aussi. Dans son tiroir, il attrape un vieux joint roulé d’avance, l’allume et en avale de grosse bouffée « shootante ». Immédiatement ses maux de gorge s’estompent et son esprit se dilate. Il voit un jeune rebeu maigre en jean Diesel s’approcher de lui. Il est en tongs, torse nu, les mains maigres amicales. Il se penche sur lui, lui outrage la bouche avant de disparaître en un nuage de shit… avant de réapparaître contre son épaule droite, une sucette rose à la bouche. Martin cligne des yeux et l’affreux bandant disparait. Personne ne s’intéresse à lui. Seulement Janie lui a envoyé un Sms le matin même : « Coucou mon amour, ce soir, je veux que tu me mettes la misère » L’angoisse remonte. Il ne parviendra pas à bander. Il la voit comme un pote, une amie, presque un meuble. Son esprit crie amour, mais son corps hurle « fait chier d’bouffer tous les jours la même chose » Il préfèrerait se taper sa pote Natacha, huilée salope bien que peu ragoûtante. Il se dit qu’il pensera à elle lorsque sa femme viendra. Mais ça ne marche jamais, ça ne décolle pas, son appareil semble avoir des yeux et crier : « Oh non putain pas cette chatte ! Encore ?! On doit vraiment finir le ragoût ? On peut pas le congeler et le sortir plus tard ? » C’est de là que lui vient l’angoisse, le ciment de ses idées noires, blafardes, assez caniveau pour donner mauvaise haleine à ses pensées. « Je suis angoissé, mais désarmé. Oh mon Dieu, il faut me libérer de ce traquenard. Je t’en conjure. Je te promets de tuer d’immondes criminels si tu me donne un sursis… Ne m’oblige pas à l’humiliation à la demi-érection. Trouve-moi une solution »

Extrait de "Evite de mourir, c'est d'une banalité"


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