Sa muse, fut finalement l'alcool... | 23 novembre 2008

Avec le temps et les bitures répétées, l'ivresse se transforme en cauchemar... Une vessie éclatée dans le corps. Un flux inintérrompu de souffrances intérieures ingérables. Le temps a passé et l'alcoolisme est devenu une maladie lourde aux conséquences déchirantes... Mon père ne lutte plus. Ne sait plus qu'il faut lutter. Il est emporté par cette lame de fond, retourné comme une crèpe... Il s'embourbait volontairement dans la vie d'ivrogne. Je le sais. Le premier verre d'alcool matinale est l'antidote aux souffrances, mais aussi le premier pas journalier vers une quête... Retrouver les premiers instants où l'alcool avait eu une utilité... Plus de deux décennies plus tôt, lorsqu'il s'était mis à boire pour s'amuser, pour gérer l'angoisse d'une entrée en vie adulte (Et la catastrophe inévitable qui y est associée), pour se donner la force d'embrasser les filles, pour aller à l'attaque, balancer des pavés sur des flics, insulter des passants, vomir les douleurs intérieures...
A d'autres époques, il avait mélangé l'alcool aux antidepresseurs, à la Marie-Jeanne, à la coco et parfois l'héroïne... Sa muse, fut finalement l'alcool. Il lui fit perdre presque toutes ses dents entre 30 et 38 ans, le mit dans un état de dépression permanente, l'éloigna à jamais des femmes, et surtout de celle qu'il avait aimé passionnément, au point de la battre les soirs de défonce absolue... Mais ça, il ne supportait pas d'en parler. Il ne voulait pas s'en souvenir. Il aurait eu si mal de s'apercevoir que ce monstre, c'était bien lui...
Il ne voulait plus se rappeler ce que sa muse alcool l'avait poussé parfois à faire. Détruire un visage aimé à coups de poing. Se griller à jamais du monde professionnel. Perdre toute dignité, toute hygiène... Mourir bourré... Mourir jour après jour.
De l'extérieur, on le perçoit comme une merde, une ordure, un déchet... On ne lui pardonnera jamais d'être ce gravat humain. On se dit que ce serait impossible de le sortir de là. Il est irrécupérable.
Il tousse à en cracher les poumons. Il clope sans fin, traine dans ses calbutes sales dans son appartement ignoble. On est assis à la table de la salle à manger, jonchée de bouteilles bien sûr, mais aussi de crasse, de salive séchée, de morve, de boîtes de conserve, de papiers, de tâches de café... Il s'est parfois branlé à l'arrache, sans doute sans s'en apercevoir. Sortir sa queue moitié molle et la branler jusqu'à l'orgasme aplati par l'ivresse folle.
L'homme en lui est une ruine. Il n'en reste que des poils sur la peau, une queue, des couilles, une voix rocailleuse grave, des hormones confondantes chahutant le peu de conscience qui lui reste... L'homme est une ruine et l'alcoolique est triomphant. On ne dialogue pas. On suit ses errances mentales, on se love contre sa déchéance de merde, on fait le slow salope avec la violence "érosive" qui émane des miettes de son vivant... Une sorte de voyage infernal, une conversation avec lui. Tout y passe et on ne parle de rien. Rien jamais. Je ne sais plus s'il sait consciemment que je suis encore son fils.
Il se gratte les couilles. Lâche une caisse. Rote bruyamment. Tout ça dans un rythme et un ordre parfaits... Une partition du cradingue jouée à la perfection...
"Alors qu'est c'tu d'viens?"
Je ne crois pas avoir besoin de lui répondre. Il est courbé, il pue, il a le visage arraché, ravagé, "ravaché" quoi... Celui qui a inventé la photo... et celui qui l'a prise. Celle de lui lorsqu'il était jeune. Beau mec. En pleine forme, joyeux, turbulent, colèrique, passionné... Un adolescent frais, sombre, au regard noir. Mais un homme en devenir, un éjaculateur triomphant, une bête de cul de révolte de révolution d'ambition... Puis là, devant moi, derrière cette table sosie d'un amas de merde, il y a lui, la chose, cette substance à la viande qui fait office d'être humain, et accessoirement de père, pour moi.
Un père, quand c'est devenu ça, c'est plus rien. C'est un peu comme si on était né Jésus... Pas de Joseph qui se vide dans Marie. Rien de tout ça... On est né du noir un jour et on passe sa vie à subir ça, ce truc répugnant qu'une éducation de merde oblige à regarder, à surveiller. Le surveiller.
A suivre...
Andy Vérol

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