Un pied abîmé que l'on enfile dans un bel escarpin | 18 mai 2010

Ses gestes étaient précis comme ceux des criminels obsessionnels, du moins ce que j'en avais lu dans de mauvais livres et d'affreux articles de presse. Michel chipotait sur tout. Il vivait dans ses tocs... Sur ses genoux pointus, serrés l'un contre l'autre, il déposait son tupperware... « C'est bouillant, ce « tupéroir » ». L'ouvrait délicatement. « Faut pas que ça déborde... » Déposait le couvercle à sa droite, « du côté où il n'y a pas d'humidité »... Il sortait une fourchette d'un Sopalin : «Je le prends sans motif, parait que les colorants, ça provoque les cancers. » Je m'emmerdais à le regarder, mais ça me fascinait, ça m'envoûtait un peu, de la même façon qu'un pied abîmé que l'on enfile dans un bel escarpin, dans une boutique bon marché. L'image. Me. Sautait. A. La. Mémoire.
« On fait toujours semblant de demander aux gens d'adhérer. En vérité, on leur impose, et on leur fait croire qu'ils ont choisi ce qu'ils ont pas choisi en fait. Tu vois. Les gens du pouvoir ils le savent, moi aussi je le sais, mais je peux rien y faire. Si mon truc... »
Michel parlait vite et prenait des cuillérées de lentilles fumant entre chaque paragraphe de sa logorrhée. Un véritable chien mâchant sa pâtée, un vampire du pauvre se contentant d'une boufaille infecte. La pourriture de ses crocs pénétrait dans la gangue des graines molles et juteuses et parfois sa grosse langue rose surgissait pour submerger les aliments telle une lame de fond. Un bruit de microbulles salivaires amplifiait le grouillement des mandibules. Il s'agissait d'un insecte géant qui se goinfrait d'une feuille ou du corps d'un autre insecte... Les lentilles n'étaient plus que des œufs arachnéens aux prises avec le féroce appétit du monstre qui ne cessait pas, malgré sa férocité, de blablater :
« ... construire un château de sable sur cette plage... Et ben les autres me regardaient de travers. Un gros bonhomme plein de poils m'a même traité de pédophile... J'ai du me casser. On voulait pas que je fais un château beau dans l'eau. J'me suis éloigné. J'avais une serviette avec des fleurs en plus. J'suis sûr qu'ils se disaient que j'étais comme les pédés. »
Extrait du roman en cours d'écriture: Le Goût Amer de l'Amande
Andy Vérol

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