Une taloche derrière la gueule | 30 mai 2010

« Je sais que tu me trouves idiote et que tu te dis que je ne comprends rien...
- Mais non mémé, pas du tout...
- Tais-toi ! Je suis peut-être une idiote, mais je ne me laisserai pas faire ! »

Ses yeux sont noirs bordés de rouge. Elle devient « l'autre », celle qui effraie les vivants du village...

« Quand j'ai rencontré ton grand-père, il n'était pas tout frais moulu sorti du foyer parental. Il avait déjà vadrouillé un peu avant ça. C'était un bel homme, fort, intelligent et qui fascinait les femmes... Il en avait eu une avant moi, enfin, une qu'il avait un peu aimée... et qu'il avait engrossée... C'était une petite bonne femme brune, moche, qui payait pas d'mine. Elle ne vivait même pas dans le village. Elle était dans la ferme, sur le chemin de Racroy. Là-bas elle s'occupait des vaches à lait et de ses parents. Ils étaient très vieux et malades, mais assez résistants pour coûter cher à la société. Bon alors il l'a engrossé. Il m'a raconté ça sur son lit de mort, quand il délirait. Il m'a dit qu'il l'avait un peu forcé... Dans l'étable. Imagine, une étable, ça pue ! C'est sale ! Et il a fait ça ! Elle s'appelait Bernadette et c'était une débile. Je la haïssais parce qu'elle était laide et qu'elle avait volé un morceau de mon mari... Bref, ils ont une fille : Marlène. Elle était bizarre, renfermée... et elle est morte à l'âge de 16 ans.
- Ah bon ?
- Oui, et elle était enceinte de cinq mois !
- Ah ?
- Elle est morte d'un arrêt cardiaque, comme ça, du jour au lendemain...
- Tu étais déjà avec pépé ?
- Oui depuis des années. Mais ça lui a fait beaucoup de mal à l'époque. Il a beaucoup pleuré. Moi, ça me faisait rien. Ça me faisait du bien... »

J'attrape sa main, très molle. Elle est un peu froide...

« Au moment de la mise en bière, j'ai tenu sa main. Il voulait lui dire un dernier au revoir... C'était horrible. C'était bizarre. Au lieu de l'embrasser sur le front, il l'a embrassé sur les lèvres. Longtemps. Enfin j'ai eu l'impression que ça durait une heure. Il l'a embrassée en écrasant ses lèvres, très fort... sur celle de la morte. Il pleurait et ses larmes tombaient sur la peau en cire du cadavre. Je m'en rappelle comme si c'était là, maintenant... Il lui a murmurée une chose horrible avec sa voix bizarre : « T'es mon amour, je te retrouve là-bas... ». J'avais envie de lui mettre une taloche derrière la gueule à ce salaud... Après il s'est relevé. Il avait la tête d'une vache folle... »

Je lui souris. Mon attention se porte sur les taches de vieillesse qui parsèment ses doigts...
Extrait du roman en cours d'écriture: Le Goût Amer de l'Amande
Andy Vérol

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