La vitrine des idéologies était pleine de crachats | 04 novembre 2010

Je lisais « La mécanique des femmes » de Calaferte sur un banc face à la gare de Pontoise. Ce livre m'avait fait penser à des godes à l'effigie de la CGT. Bizarrement. L'auteur était l'un des rares à ne pas sacraliser les ouvriers. Il les dépeignait tels qu'ils étaient : souvent pingres, agressifs, beaufs, égoïstes et suivistes. Du moins, c'est un peu ce que j'avais cru lire et interpréter. Les mouvements « populaires », manifs dans la rue, A.G. étudiantes, éructations pleines de slogans pourris, me sortaient par tous les orifices de mon corps. Je ne virais pas à droite, mais je penchais sérieusement vers un individualisme forcené, une conscience singulière du monde dans lequel je vivais. La vitrine des idéologies était pleine de crachats. Il y avait ceux qui se battaient pour un avenir « meilleur », selon leurs termes, et ceux qui se battaient pour bousiller ce même avenir : moi et tant d'autres.



Nous nous unissions ponctuellement, fringués de noir, de la tête aux pieds, et nous déboulions dans les manifs anti-ci anti-ça pour « niquer l'ambiance ». Le principe était simple : ces mouvements ponctuels de la rue se considèrent comme « Le Peuple » défendant son bout de gras contre les puissants qui veulent lui enlever. Ce mensonge nous donnait envie de dégueuler. En réalité les « partenaires sociaux » se distribuaient les enveloppes de budget et scindaient le pouvoir de façon harmonieuse. Nous haïssions autant les moutons gueulards des syndicats que les costards-cravates aux mots lisses et techniques installés à la tête de l'Etat. Nous rêvions de démonter ces mécanismes, pour installer un chaos menant inexorablement à l'extinction de l'espèce humaine. Vaste projet.

Je fermai le livre de Calaferte et serrai la pince d'Emilio, ex-communiste converti au nihilisme politique de fraiche date. « T'as lu ce livre ?
- Nan j'lis pas.
- T'aimes pas ça ?
- J'aime bien que les filles que je baise, lisent les livres à ma place, pour m'endormir après l'éjac' »

Dans son sac à dos, il avait entassé des fringues noires : futals, pulls, cagoules, gants, rangers.

Nous n'étions que deux cette fois. Impossible de mobiliser beaucoup de monde pour pourrir des manifs. Les lascars de banlieue n'étaient pas du « même bord que nous ». Ces crevards n'étaient que des anarcho-capitalistes, assoiffés de produits, de marques, de conneries, et opposants farouches aux autorités. Nous les détestions tout autant que les syndicalistes, les élus, les membres de partis, etc. « C'est pas grave, on fera juste gaffe au service d'ordre de la CGT, c'est des féroces, des autoritaires, des CRS façon mercenaires... »

Animés par la haine, la colère, animés, déments, beaux comme une crotte dans le caniveau, flottants puants à la surface de ce monde gluant.

Pas envie de terminer là. La flemme.

Andy Vérol

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