Une sorte de cadavre qui respirerait de nouveau | 23 novembre 2010

« Je voulais vous faire rater vos vies ». Le vieux parle en bavant, en murmurant à l'extrême, mais il parle... J'en rougis sans doute, ma main gantée latex sur son chibre gonflé... « Euh... Merde ».
Je ne sais que faire. Sortir, avertir les surveillants, infirmiers et médecins ou rester là, et le laisser émerger... Sa bouche énorme - sa lèvre inférieure me fait penser à un édredon de viande rouge - s'ouvre un peu plus encore. Il a une haleine de bouche d'égout. Dégueu. Ses yeux restent fermés mais ses paupières vibrent, un peu folles, telle une trieuse de grains de blé.
Sa voix rauque m'enveloppe, ténébreuse. Une sorte de cadavre qui respirerait de nouveau : « Tu... n'as... pas... le droit... de faire ça, petite pédale. »
J'enlève ma main, vire le gant, attrape un tabouret et m'assois. Cul ferme sur bois sec. Il capte toute mon attention :
« T'es pas en état pour me traiter de pédale, vieux... Comment tu t'appelles ?
- Sergio, petite fiotte.
- Moi c'est Léonel.
- M'en fous... qu'est-ce que tu foutais là merdeux ?
- Je branlais ta queue...
- T'es gérontophile ?
- Nan... Et t'es pas censé parler. T'es censé végéter jusqu'à la mort...
- Qu'est-ce que j'fous là merde !
- Tu sers la patrie...
- Hein ?
- Oui, tu sauves le peuple... »

Il accuse le coup. Ses paupières vibrent de plus en plus violemment. Il tente d'ouvrir les yeux et apercevoir mon visage.

« Je peux pas t'en dire plus, mais sache que tu es la chose de l'état maintenant...
- Nan, je suis la chose de personne, et encore moins de ces pourris qui dirigent...
- On fait quoi maintenant ? J'appelle le médecin de garde ?
- Sûrement pas...
- On est dans la merde... T'as l'air d'être un caïd...
- Je suis pas un caïd, je suis le chef de personne et personne n'est mon chef...
- On fait quoi, putain...
- Rien, tu vas tout me raconter et on avisera ensuite... »

Ses yeux s'ouvrent légèrement... Pupille noire, rétine trempée floutée par un léger voile blanc gluant. Il a commencé à débander et ses doigts bougent doucement...

« Je bosse pour le Ministère de la santé. Je suis payé à prélever la semence... des vioques comme toi et la remettre à mon chef de service... Ensuite, je sais pas ce qu'ils en foutent...
- C'est dégueulasse, mais je savais qu'on en arriverait là.
- Le monde change.
- Ces porcs au pouvoir nous ont bourrés le crâne pour féconder de la marmaille. De la chair à boursicoteurs ».

Il parle clairement, ses mots sont clairs, posés, précis. Ces abrutis du service l'ont rangé dans la case « légume humain » alors qu'il est là, bien conscient, massif. Il s'agissait d'un nouveau donneur. Jamais vu auparavant. Le bonhomme a une bite à l'image de son corps : large, massive, tordue.

« Détache-moi...
- Je peux pas.
- Tu vas pas me laisser comme ça ?
- Si. J'ai besoin de mon salaire pour survivre... Fais mine de redevenir la larve que tu étais. Il faut que je réfléchisse à tout ça. Pour prendre la meilleure décision.
- Tu t'imagines à ma place ? Tu penses à ce que ça peut foutre comme choc d'être comme ça ?
- J'imagine, j'y pense... Tu es une erreur ici, un accroc dans la machine bien huilée de l'état. Fais semblant de retourner dans ton coma. Je reviendrai demain... c'est mon jour de relâche ».

Extrait du roman en cours d'écriture : Mon Usine, la suite...

Andy Vérol

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