Comme ceux qui sentent les culottes sales

Une porte claquée, des portes claquées. (Elle met bout à bout des nouilles d’oxygène qu’elle place au sol pour faire joli. Elle vit seule au premier étage d’une maison, depuis son divorce. Elle n’hésite pas entre l’un ou l’autre mais entre le mouvement, la stagnation). Sur le sol brille les bruyants pas des consommateurs, mettez du beurre dans vos épinards nan les livres vont, viennent, la caissière a souri, attention bénef’. Une sensation de mal être. J’attends derrière la vitre toujours aussi sale. Il y a le guichet, les pompes à essence vides et inopérantes, la boutique aussi approvisionnée qu’un magasin d’Etat en Pologne en 1986 et des feuilles de journaux qui volent en rond dans la poussière le sable la terre du désert. Une baraque est plus loin, à la télé, on endort, à la radio, on distrait. Le clic-clic d’une corde qui tape sur le plexi déformé de la porte du garage. Daddy est parti avec le pick-up depuis deux heures. Mon jean est taché au genou, un Caporal,  tout neuf, acheté à la Coop’ de Renwez, une ruineuse boutique tenue par des gauchos renationalisés par la crise accablante. Depuis des mois, une odeur de duvet dégueulasse pique les narines. On ne peut plus, on ne peut pas tirer des tuyaux pour faire venir l’eau. Large. Tous les deux jours j’utilise une bouteille d’eau de source pour me laver le visage les mains les aisselles les pieds et les couilles. Autant dire que ça mousse, que ça part pas, que ça ripe flasque sur la bedaine à jeune gars. Des guirlandes de pensées obscures sur cette étendue de landes disparues. Crik, crik, j’arme le chien du fusil, une Kango approche, grise métallisée. C’est soit Richard, soit personne, et pitié là je tire, tue, découpe, et fais le nerveux des yeux en regardant le sable. Les doigts crispés, puis extirper la crotte de nez, péter, se vautrer sur le canapé en attendant papa qui reviendra dru comme l’orage, imbibé de Bourbon, bon, bière aussi, et barrage de crack si nécessaire. On hurlera le foot, la foule et les sifflets d’arbitre. On attendra impatiemment la fin de la pub, comme la fin du discours du Messie qui passionne mais finit toujours par emmerder. Tenir la main d’une fille, plus loin. L’homme sort de sa Kango. Je ne connais pas, ni ses cuisses, ses pec’, encore moins sa gueule de boxer des années 30. Daddy doit le connaître, sûr, c’est un type avec qui il a fait les quatre cents coups et des coliques de baston plutôt que draguer des filles. Vraiment, venez, la vieille voyez, Daddy n’aime pas Dieu, mais prêche quand même.
L’homme approche, les pattes arquées, mordillant un cigarillo premier prix sans doute acheté avec le Morpion quotidien.

« Bonjour jeune homme
-          Ouais ?
-          Vous vendez des trucs ici ?
-          Ouais un peu.
-          Vous vendez quoi ?
-          Pas d’l’essence déjà ?
-          Ben quoi alors ?
-          Ben des pièces de bagnoles… Derrière la station, on a une casse sur la dune.
-          Ah ok.
-          Vous avez besoin de quoi ?
-          De rien, je suis curieux »

Je la sens son haleine de sale race, elle pue ce café et ce tabac brun, les élastiques invisibles d’alcool et le poil saligaud.

« Vous voulez vous rincer les mains et la bouche monsieur ?
-          Ouais, avec ce vent tempétueux et ce sable, c’est infernal… »

Je me lève, la crampe au cul, torse nu, les bras tachés d’un peu de cambouis et de plâtre… J’ouvre la porte il me suit, je le conduis dans le réduit, le lavabo, le filet d’eau et le savon crado. Se penche. Porte la paume de sa main sous la flotte puis la propulse sur son visage mal rasé… Je
Pose
Le
Canon
Du fusil
Sur sa nuque…
Il se fige. Il pige, tremble très doucement. Sûrement il repense à son fils, ce con de mon âge, sans doute, un brave garçon, avec la coiffure des beaux quartiers et la rébellion du rebelle pourri gâté. « Maintenant tu sors et tu re-vas dans ta poubelle, et tu te tires et tu reviens plus ». Il voulait sûrement me la mettre ou faire le courrier comme ceux qui sentent les culottes sales. Sûrement. Le vent vient violemment bourrer mes yeux, je ne vois plus rien, ses gestes giclent soudain comme du sperme, si bien que je suis contraint de vider de la poudre dans son crâne via la nuque. C’est papa, ma daddy, qui va criser… En attendant, je vais m’amuser et le mettre en scène… Un humain n’est pas réel. Je suis le seul et l’arbre là-bas, retourne-toi, et regarde, si t’as pas peur de moi…

Léonel Houssam

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