J’ai un odorat de monstre




26 avril 2011 (encore): Julien est freluquet mais sans complexe. Il ne cesse d'imiter les bodybuilders avec son corps tout maigre. Marie est un peu déglinguée, un peu comme si un cheval au galop l'avait percutée par la hanche droite. Nous sommes les seuls en maillot de bain sur la plage. Tout le monde est plutôt chaudement vêtu mais nous, nous trimbalons presque à poil. Je n'ai pas réfléchi quand on nous a dit de courir à la mer avec un slip de bain.

26 avril 2011 (je me pèle en slip de bain devant les cabanons de plage mais je profite de l'illusion de vacances paradisiaques. Il fait 19 degrés maximum au soleil. Julien et Marie font des sauts dans l'eau glacée de l'océan. J'ai dit à l'accompagnateur de me laisser seul): mon oncle Marc me disait souvent (j'ai lu ça dans un de mes écrits de 2006) que je ne vivais plus avec internet, que je n'étais que dans le virtuel. Je lui répondais que le réel enchanté, ça n'existe pas, que les soirées entre amis à parler de que dalle en picolant, les relations humaines flasques en général, sans parler de la laideur du territoire archi bétonné, plein de centres commerciaux, de routes, de bagnoles, de multinationales et de chaînes de restauration à la con, que tout ça me donne la gerbe. L'espace où nous vivons est un monde fini, global, standard, dictatorial. Les seules chances d'y échapper, c'est internet ou le suicide ou plus brièvement, l'orgasme.

26 avril 2011: j'ai ensablé mes pieds, j'explore la bouée de graisse qui entoure ma taille. La création, c'est un gros majeur jouir gesticulant dans le cratère d'un volcan vénère. Je crois que les deux autres essaient de se faire des caresses. Les promeneurs nous regardent avec dédain. C'est fou comme les gens se parent de bons sentiments. Ils ont raison, je suis de la merde. Quand j'étais petit, je voulais être handicapé pour ça, gêner les gens, les voir haineux ou méprisant. J'étais tellement invisible que je préférais le dégoût de l'autre à sa façon de m'ignorer. Le sable garde la chaleur de mes pieds. Les bourrasques de vents sont chiennes comme une femme qui tourne sa face au moment où tu tentes de l'embrasser après avoir postillonné des signes d'intérêt toute la soirée. Un type, style fan de Johnny mate mes collègues déficients et commente: "regarde moi ces débiles. Des dégénères putain qu'ils soient foutus en camp ah ah ". Les gens sont choqués mais se taisent. J'ai une érection puissante qui déforme mon slip de bain.

27 avril 2011, 2h10: je suis au sommet d'un lit gigogne qui gigote sous les coups de paluche. En boxer mou distendu. Je mate julien et Marie qui se coltinent un 69 à même le sol. Ils sont éclairés par la lumière des lampadaires dans la rue qui borde l'hôtel zéro étoile. Ils sont pas beaux mais c'est toujours excitant de reluquer. J'attends pas qu'ils s’interpénètrent pour me faire éjaculer et me blottir dans la couverture sale et rêche. Les gens sont toujours outrés par le fait que les malades mentaux aiment baiser, comme si les hormones étaient interdites de séjour en eux. Ils pensent sûrement qu'ils sont incapables de trouver le trou, qu'ils sont excités par une croûte de caca au cul ou un coude abîmé. On ne leur prête aucun désir acceptable comme si les "honnêtes gens " étaient plus élaborés et civilisés au pieu lorsqu'ils se marteau-piquent en râlant comme des crocodiles qu'on nourrit d'une carcasse. Le problème est surtout du au physique généralement ingrat et au comportement sans étiquette des "malades". Demain je mettrai des bas et c'est moi qui sauterai Marie... Puis Julien.

27 avril 2011: il est à peine 7 heures. L'hôtel est à Arras. On a mis une plombe à rentrer de la mer hier. Bouchons et déluge de pierres célestes. J'ai seulement baisé cette osseuse de Marie pendant que julien roupillait sur le pallier de la chambre. Ça a duré quinze minutes montre en main. Elle sentait la sueur, le pipi et le foutre de Julien plus une odeur de grenier à rats morts. J'ai retenu des vomissements mais j'ai joui. Elle était silencieuse, le regard vide tourné vers le plafond. Je suis remonté au sommet de mon lit gigogne. En plein sommeil, je l'ai entendue hurler, une sorte de cri horrible de douleur. J'ai pleuré dans les draps. C'est tellement glauque, affreux, je me sens enseveli dans le goutte à goutte des jours. Je viens d'acheter des croissants. Je les ingère sous le plafond gris, assis sur ce banc, place géante devant moi. Des miettes de joie quand le beurre sucré de la viennoiserie refoule du goulot dans les narines. Les écouteurs vissés dans les cratères à cérumen, je bats le rythme avec la nuque sur Da Bo$$ would like to see de Snoop Dog.

27 avril 2011: une flasque de vodka à 8 du mat' hue ! J'ai susurré à l'oreille de ce gros con qui m'a balancé "abruti de SDF". Il a l'benne lourd comme une couche euh'd'merde d'gosse merdeux. "Je suis Léonel, j'suis pas un esclave ma gros". Je lui pince les hanches, il gesticule comme une vierge qu'on viole. "J'suis pas bien et toi tu m'insultes gratos ? J'vais te donner une bonne raison de voter FN pauvre merde... ". Je lui flanque des petites baffes sur les joues. J'ai un riff de guitare chaotique en tête. J'ai l'keupon qui fait drôle dans l'zizi. J'le pogote sur le trottoir avant de me barrer et de le laisser dans sa trouille gluante.

28 juin 2011: "Le sport et la pâtisserie et la télé et le barbecue et les vidéos de chats et de... chattes sur internet, c'est ma nouvelle passion dans la vie en attendant que la Russie nous écrase comme des merdes", dit l'occidental de l'empire atlantiste. La "Métapologie" de la réussite financière. L'héroisation de la misère. Mais ça n'empêchera pas l'effondrement du monde terrestre fini sous le dôme céleste des infinis moqueurs.

28 avril 2011: je crois qu'ils m'ont expulsé de chez moi, mais j'étais pas chez moi. Toutes mes affaires balancées à la benne... Va donc baisser ton espérance de vie pour prolonger la leurre, aux retraités... Merveilleuses chutes des milliards-corps sur un tapis gluant de pixels. 

29 avril 2011: j'erre dans les rues, c'est fou, c'est puissant. Attend, je recommence. J'ai pas le bon rythme dans la tête pour écrire. Il faut que je fabrique de l'endorphine , quelque chose comme ça. J'ai mal aux papattes. J'ai pas fini ma pâtée. J'ai pissé sur la roue d'une Audi toute neuve. J'ai dormi sur un lit de journaux putréfiés par l'humidité. J'ai cru rêver mais non. Depuis hier, j'erre, je crapahute dans la ville sans trop savoir où je veux aller. J'ai fait quelques escales dans des bars, j'y ai sifflé des verres en causant cassé avec des camarades ivrognes, d'un soir, de toujours. J'ai pas réussi à me sortir de tout ça. La mémoire me revient. Je me rappelle partiellement le cœur palpitant du jour où j'ai obtenu mon bac sur le fil. Mon meilleur pote qui l'avait raté. Je me rappelle avoir picolé toute la journée, toute la nuit, avoir dégueulé dans des chiottes bleues couvertes de bites couilles chattes griffonnées au Tipp-Ex, au marqueur, au sang et à la merde. Des bruits de fond, des conversations, des douleurs terribles dans la tête et les premiers flashs, la vision presque palpable d'Insanus, face d'homme aux yeux bleus, cheveux blancs flottant comme un drap dans l'air. J'allais en découdre avec celui-ci. Je le sens. Je ne me rappelle pas encore de tout. Mais j'ai des flashs, des hallucinations déformées par le LOVE, le HAUT LOVE, l'électricité dans les membres, les visions de murs aux pastels bistres évoquant l'amok, l'excès soudain de l'instinct de mort...

30 avril 2011: ça m'est revenu. Je ne crois pas avoir été expulsé de mon logement. Quelqu'un s'en est sans doute occupé en mon absence. Je ne sais pas bien qui mais je pressens ça. Peut-être un parent, ou bien quelqu'un de la meute. Comme tous ceux de mon espèce, je suis né dans une meute, Une meute d'émotifs avec un émeutier, moi. Un ligueur seul... L'appartement, il est sans doute à sa place. En temps et en heure, je tenterai de retrouver la clef, l'adresse, les signes de vie dedans. Il doit bien y avoir des signes de vie, des traces de mouvements. ça m'aiderait. En rentrant dans ma chambre de fou ce soir, j'ai ressenti les embruns d'un sein laiteux écrasé entre deux mains de bambin géant. J'ai fait un Sudoku. Marie a frappé timidement à la porte. Une fois de plus, elle est parvenue jusqu'à moi sans se faire pincer. Je lui ai dit que je n'avais pas envie mais elle n'en a pas tenu compte et s'est glissée nue-osseuse sous ma couette. Après avoir joui, l'émeutier solitaire s'en est allé dans la sieste avant de se réveiller, par terre, dans la salle de bain blanche immergée dans la clarté du néon. Et puis j'écris, pour essayer de contrer la corrosion de ma mémoire. J'ai léché mes mains et mes cuisses pour y enlever le sperme et la cyprine séchés.

1er mai 2011: mais mon nez, ma bouche, mes mains, mes jambes ne savent rien. Mes entrailles sont un peu plus informées. Le cerveau lui bouillonne, centre névralgique, mais il ne sait rien non plus. Elle me connaît mieux que je me connais. Je sais à peine mon prénom, et tout juste le sien. Les bras croisés, je la regarde faire son discours. Elle porte une robe de soirée qui fait rêver les filles qui n'ont jamais goûté à la dèche à paris et à Londres de Georges Orwell. De petits applaudissements, des rires serrés. "Je suis heureuse de vous voir tous réunis en cette journée de joie. Je vois vos visages et je me dis qu'ils sont les repères joyeux de ma vie". J'ai un costume usé des années 90 acheté aux puces, des chaussures presque impeccables cirées de la veille. Un vieil homme se lève. Il a de la bave sèche à la commissure des lèvres. Il dit qu'il est fier de voir Aurélie prendre son envol et permettre à l'association de se développer.

2 mai 2011: à la radio, j'ai entendu un scientifique qui racontait que nous descendions du singe. Il avait une voix de fumeur. J'ai pas confiance en des scientifiques qui fument. Nous ne descendons pas du singe mais du virus. J'ai entendu un autre scientifique qui lui ne fumait pas le raconter dans les pages d'un magazine. Aujourd'hui, j'ai eu le droit d'aller acheter mes clopes tout seul. J'en ai profité pour boire une bière achetée à la supérette du village. Les paysans qui rentraient des champs me regardaient de travers. J'avais l'impression qu'ils allaient me mettre dans leurs box à viande.

3 mai 2011 : 3000 lecteurs minimum par jour sur mon blog et je vends pas plus de 200 exemplaires par livre paru. Je n’écris plus vraiment, j’ai des dents partout dans la tête, des crocs plein la bouche. J’ai plus envie. Je préfère renifler des arrière-trains. On a fait l’amour. Elle prétend toujours être ma meuf mais je sais que c’est ma sœur, cette Aurélie. Je la laisse divaguer. Ma mémoire n’est tout de même pas aussi défaillante. J’ai un odorat de monstre, de géant, je pourrais renifler la poussière soulevée sur la Lune, c’est sûr. Et si nécessaire me faire cramer les poils de tarin avec les pets solaires. On n’a bien ri avec Marie juste après que Julien ait éborgné l’accompagnateur avec le manche à balais. Les murs ont bougé, les vitres ont vibré. On dégoulinait de rires. J’avais envie de sortir et de pisser partout pour délimiter mon territoire. J’ai humé la magnifique odeur de terre humide venue des îles, du village des bouseux, de l’arrondissement des calvaires perdus. C’est étrange un songe. Je me réveille dans un corps de paille humide. On m’a attaché au pieu. M’a dit que j’avais encore trop bu. Privé de perm’ pendant quinze jours. On me détache, on me plante sur un fauteuil dans la salle de télé, on me met TF1 et on pense sans doute que ça ira bien. Des bulles avec la salive, des regards en biais vers les autres maigres en pyjama. Personne ne s’intéresse à personne. Il y a des séries américaines avec des crimes affreux. Des flics toujours parfaits qui savent reconnaître un cheveu collé sur une semelle ou un poil d’avant-bras d’un gorille sur l’enseigne d’un club échangiste. Ils sont dingues. Ils véhiculent l’agonie des mœurs, de la morale tout en tatouant l’ordre sur la face des téléspectateurs. Je suis bien, moyen, mais j’ai un thé et un biscuit au pralin.

Léonel Houssam

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