J'ai aussi mes années 40 dans les tripes


Photo de yentel Sanstitre

Extrait de "In love with Alice Sapritch,". Roman en cours d'écriture. Parution en 2015.



11 juin 2011: une peau apaisée, pas une peau à baiser. Risque majeur. Lactose caillé. J'ai commis une saillie impromptue avec mon Alice Sapritch.


12 juin 2011: j'ai aussi mes années 40 dans les tripes, les hivers glaciaux, les grosses cocottes en fonte pleines à ras bord de potée au goût fumé, des bouts des doigts blanchis par les craies naturelles trouvées à même le sol pour dessiner les cases de la marelle sur le sol bitume, chemin de goudron, corde nœud coulant autour de la gorge toussoteuse de l'occident. Des dents cassés, des pleurs, des karts à pédales volant dans le décor, des rings en paille sur les hauteurs de la ville pour qui voulait en venir aux mains. Mais ça se dissout dans l'écran greffon de mes doigts. Ça m'angoisse et me trépasse vivant avant de me vider de mes viscères métastases. Ma Sapritch bousille mon pont suspendu dans le slip en le saucissonnant dans sa paume droite. Je crois que nous sommes réconciliés pour quelques heures...


13 juin 2011: la meuf miette mordille un matelas moche.


14 juin 2011: la miss minibar dans la bouche carambar du blanc faussaire fouillant des strings comme des fonds de porte-monnaie.


15 juin 2011: apologie d'une brindille qu'on casse entre les doigts.


16 juin 2011: ma Sapritch me balance: "ça y est, j'ai acheté tous les cadeaux pour Noël !
- Mais on est en juin !
- J'ai pris de l'avance pour éviter le bordel.
- Pourquoi tu achètes pas ton cercueil à l'avance aussi ? Avec l'inflation, ils coûteront 40% plus chers à ta mort. Ce serait dommage !
- Connard. "
J'ai vue sur l'église. Y'a plus de croyants mais Y'a plein d'églises et de caddies.


17 juin 2011: pour éviter les conneries han hue dedans la tête, j'ai demandé à ma Sapritch de me ligoter au lit 23 heures par jour jusqu'à ce que les addictions s'arrêtent. J'peux m'enfoncer dans le uc' mes envies de fils de pute.


18 juin 2011: le calcaire entre les dents, le plombier du purgatoire le pète au burin. Un banc de splifs façon rang d'oignons de cheminées d'usine...


19 juin 2011: j'ai les poignets rouges sang. Ma Sapritch me nourrit à la cuillère comme un baby so lovely, la lagune des lèvres tendue, harassée, gourmande.


20 juin 2011: j'ai des propos de pédé refoulé et des manières de légionnaire sodomite. J'ai mal partout et je suis gavé par les merdes de la télé.


21 juin 2011: Bien plus que d'écrire des livres qui ont plus de profondeur qu'un coup de queue.

22 juin 2011: ce bar où on ne peut plus fumer, plus s'engueuler sans être regardé comme un terroriste, un connard ou un pochetron.

23 juin 2011: je me dis qu'elle doit être vraiment malheureuse. Dans un surcroît de conscience, lorsque je ne suis pas en train de divaguer et de zigzaguer entre les médocs et les crises de sommeil ou de chutes vertigineuses dans les Moi imposteurs, je la vois presque comme elle est. Pas trop Sapritch, plutôt une femme qui se fait souffrance pour suivre fidèlement les humiliations de son enfance. Ça se traduit par des pratiques sexuelles brutales alternées avec des périodes de blues himalayesques. L'enfant ne bronche pas. Sage, très éveillé, je fais semblant quelques fois de faire papa, figure d'autorité ou poule couveuse. Elle sort des heures pour son job ponctuel mais aussi pour d'autres inconnus. Des nuits. Des jours. Des gris. Rentrant débraillée, dégoulinante de fatigue, de mollesse, de cette figure qui tombe lorsque toutes les hormones ont essoré le cerveau telle une serpillière.

24 juin 2011: le cancer ou l'obus ou la famine baisent pas par l'anus ou la vulve ou la bouche ou ailleurs. On ne se soucie plus que des souffrances des minorités, voire des communautés. On traîne l'individu comme une pièce de rechange dans un entrepôt. Qu'est-ce qui a changé depuis la naissance de l'humanité ? Rien... Ou peut-être la taille de l'entrepôt.


25 juin 2011: j'écoute des musiques du futur des années 80. Ma Sapritch me ligote de nouveau après un temps de relâchement. Le futur de ces années là a déjà eu lieu ailleurs. Des fusées tranchant l'ozone pour rejoindre des colonies lointaines. Du diurne rouge orangé permanent. Le goût d'un univers aussi envoûtant que le fond des océans. La Terre infernale qu'il fallait fuir. L'enfer sur Terre. Le purgatoire sur Europe. Le paradis dans les amas de poussières lumineuses aspirées en un mouvement circulaire infini, par un trou noir.


26 juin 2011: on n'est propriétaire de personne. Seule la mise à mort ou la mise en esclavage pourraient en offrir l'illusion. Nous ne sommes même pas propriétaires de notre corps, simples hôtes de passage programmés pour perpétuer l'espèce.


27 juin 2011: tout est tellement différent maintenant. Les oiseaux ont disparu... C'est nul ce que j'écris depuis des mois. Ça veut plus, la mécanique est brisée, balancée dans le corps androïde du bébé éprouvette. Je me réincarnerai en distributeur de billets ou en rayon lingerie d'un supermarché.

Léonel Houssam

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