L'alcoolique se trouve héroïque quand il boit comme un trou




Extrême nord du mois d'août 2011: j'ai été viré du sommeil par une tornade de cauchemars. Un homme nain a niqué ma taie d'oreiller avec ses dents de devant. Le duveteux de ses yeux s'est posé sur moi avant que je me rendorme. Divine démission de la vigilance.


Jour 2 d'août 2011: bientôt ils reparleront des tours jumelles telle une litanie vulgaire recrachée par les messes médiatiques. Les conspirationnistes souffleront leur hantise sur leur déni. Les autres honoreront le souvenir des morts comme on presse un tube de dentifrice pour en faire jaillir une ultime chouquette de fluor.


03 août 2011: j'ai tellement perdu pied que je ne suis plus qu'un crotale prostré sous un rocher brûlant. L'enfant a fait ses besoins dans la valise ouverte dans la salle de bain. Cela signifie qu'il se sent à l'étroit, troué de toute part par l'ennui et l'angoisse.


3 août 2011 : Alice a tenté d’appeler. Je crois que c’est elle. Mais comment est-ce possible ? Avec l’enfant, nous logeons dans un motel décati non loin d’Eragny. C’est là que nous faisons escale pour aller vers nulle part je crois. Elle a appelé, elle n’a pas parlé dans le combiné. Je suis persuadé que c’est elle, que ce n’est pas la réception. La réception d’un motel pourri n’a rien à dire à ses clients. L’enfant joue aux Lego dans la salle de bain. Il fait des grappes de bulles avec sa salive. Il est content, il est au firmament de la vie chiante, de l’esprit conscient… Je crois. En buvant ma bière, je réfléchis à la suite. J’ai ébauché une tétralogie, ça fait bien une tétralogie. Des lecteurs-scribouillards pompent mes trucs, ils suivent ma trace, ils me suivent à la trace. Peu à peu je brouille les pistes sur les réseaux. Je raconte des bobards, je mets des extraits de livres que je n’écris pas. Je leur laisse croire ça, pour qu’ils prennent le chemin du cimetière des soldats de la Waffen-SS dans la forêt épaisse. Qu’ils se perdent entre les noisetiers trempés, parmi les cabanes de bois effondrées, les trous d’obus béants tapissés de feuilles en décomposition…


4 août 2011: les honnêtes gens là, ceux-là qui trouvent que payer trop d'impôts, amener le petit chez le médecin ou perdre une grand-mère, c'est grave. Voilà, chacun voit midi à son fion mais les honnêtes gens qui couvrent de confort, de chronomètre-vie, de crises d'angoisse pour un maillot de bain oublié dans la valise. Et vlan le tsunami ou la tempête de neige ou l'incendie de forêt et les v'la témoins à la télé, oh les pauvres. Qui fait un micro trottoir au Darfour ou après un bombardement américain ? C'est ça. Pour les honnêtes gens, chauffage l'hiver, vaporisateur l'été, il faut les écouter se lamenter, se prostrer dans la complainte. À l'instar de l'occident qui surmédiatise trois morts pour un acte terroriste chez eux tout en taisant des milliers de morts sous les bombardements des avions Occident, dans les mines pour fabriquer les joujoux confort des honnêtes gens. J'ai rangé l'enfant dans son lit, sommeil en kit, histoire, chanson, câlin, caresses dans les cheveux...




5 août 2011: des petits vomis des écrivaillons les uns avec les autres, les uns pompent sur les autres, ils disent "s'inspirer", mon cul, ils pompent, ils sucent comme des putes acceptant de le faire gratos, des bouts de salade entre les dents, des trucs durs vaseux dans la gorge. J'ai pas tué l'enfant parce que c'est un enfant. J'ai joué avec des cubes bois avec lui, j'ai bien fait, il a bien rigolé quand je l'ai renversé sur le lit et que je l'ai chatouillé, il a rigolé avant de se laisser bercer s'engouffrer dans les bras de Morphée cette salope à cauchemars, je mets des bites, couilles pute partout je mets des trucs malsains, ça dérange les gens de savoir que certains ont du empailler des animaux de compagnie pour pallier la trouille des coups du papa, les coups de phalanges, les coups de bite, voilà j'ai encore écrit bite, j'ai écrit couilles, putes, salopes, j'ai pas envie de faire plaisir hein les gens, j'ai joui sur un film de boule, la morphine dépixélisée crachée par l'écran d'ordinateur, le moteur des branleurs, l'internet, la vie, la mort, l'enfant qui ronfle et moi qui râle dans les draps, qui dope l'esprit! Le papier-peint qui change de couleur, l'impression de se jeter dans le vide, s'endormir en se masturbant, le cerveau gauche qui prend le cerveau droit en levrette, en gaufrette, pécho une suffragette pendant la permission, retour du front, le film de cul s'est mué en reportage sur la guerre de tranchées, les explosions en noir et blanc, le grain pourri de l'image, les têtes vioques de ces jeunes soldats qui ont combattu pour que je finisse à me palucher devant un ordinateur Acer boulonné par des gosses chinois, ouvriers bridés brodant les nuits d'usine avec leurs petits doigts. Un tas de merde, ma chair à canons à moi, ces bombes des streaming Youporn, ou Youfuck ou Youtouchyourfucking-molosse-dick-gars. Une guerre de trachées plus que de tranchées, des gorges profondes et déployées, incendiées par des mâles sans guerre, des déclassés, des sacs de testostérone balancés dans la décharge du politiquement correct et de l'égalité de façade, des âmes sirops dissoutes dans le fleuve des jours storytellingués! HOUTCHHHHH! HAN!


6 août 2011: énième refus de manuscrit par un éditeur. Avant j'avais deux options: ou je me suicidais ou je me droguais. Maintenant je vais crapahuter sur les hauteurs de L'ENPHET où les ronds de fumée m'attendent. Je crois que j'ai pas bu depuis deux jours... L'alcoolique se trouve héroïque quand il boit comme un trou. Il se sent héroïque quand il ne boit pas une goutte d'alcool pendant 24 heures. L'alcoolique a une figure simple de l'héroisme: une bouteille pas entamée, ou un cimetière de bouteilles vides... L'éléphant va toujours crever dans la déchetterie juste derrière la réserve naturelle. Une bastosse dans le postérieur. Tut Tut Tut.

Léonel Houssam

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