Jacuzzi de sang et de lymphe





1er septembre 2011: déjà quelques années que je savoure la pendule qui tourne. Je l'ai prise en cours de route, et je la laisserai continuer sans moi. C'est con, c'est souvent ce que l'on écrit lorsqu'on est un mauvais écrivain. On écrit l'amour avec les pieds, on parle de la pluie et du beau temps pour planter le décor, on fait mine de fictionner la réalité pour cacher ses failles, pour rester héroïque, ou anti-héroïque, c'est selon, c'est en fonction du lecteur, s'il est de gauche, de droite, s'il est riche ou de classe moyenne, s'il est du nord ou du sud. Bref. La pendule, le temps qu'il fait, les sentiments... mais jamais le goût pour son odeur de caca, sa passion pour le pipi sous la douche, si, on peut, mais il faut dire que c'est l'autre, pas soi, soi doit rester distant, au-dessus du lot, derrière la grille, les mains cramponnées aux barreaux mouillées derrière lesquels une cour vide grouille encore des momies enfants hurlantes qui jouaient à l'heure de la récréation. J'écrase une larme pour la forme. Le vent tempétueux frappe mon visage (le temps qu'il fait tu vois?) tandis que le crépuscule s'écrase sur l'horizon (la pendule qui tourne hein). Je regarde le sac en plastique. L'enfant sourit dans son jus. Je m'éloigne de la grille. J'ai en tête une 2 CV et une famille aux sous-pulls pétrole. D'un geste vif, massif, je fais tourner mon bras comme une hélice et lâche le sac à l'instant du climax du tourbillon de mon épaule-retord... L'enfant s'écrase au milieu de la cour, jus de viande, jus de pleurs, flaque infecte bulleuse, jacuzzi de sang et de lymphe... Je crie: "Allez, cours, va jouer avec tes camarades! Qu'ils te torturent dans le fond de la cour ou qu'ils te frappent la zezette dans les chiottes, va jouer avec eux!"


2 septembre 2011: lorsque je vois quelque chose qui gigote sur le sol, je pense encore à l'enfant explosé. Je me dis qu'Alice va m'en vouloir. Comment peut-elle savoir où je me trouve désormais? Peut-être me voit-elle quand je ferme les yeux, quand les paupières se déplient sur l'iris comme des stores de peau. Un désert noir s'étale devant et derrière moi. Elle m'embrasse les yeux et je ressens une tendresse sableuse, le rêche d'une serviette de bain trop petite, les orteils dans la poussière d'une plage faisant face à l'océan de glace. Une gaule d'enfer me tire de mes rêveries. Je me branle. J'entends une petite musique vénitienne pendant que Rocco pilonne l'étudiante vulgaire... Un air de pizzeria onéreuse en bordure/frontière de l'extrême-sud. Les sourires dorées de mères livrant leurs filles à la prostitution pour régler la dette publique... Alice ne peut m'appeler. Je ne peux appeler Alice. Comment lui dire pour l'enfant, pour la démence, pour des semaines passées en bien-être brisé par mes fautes?

Léonel Houssam

Commentaires

Orion a dit…
Tord-boyau percutant. Splendide.

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