On n'avait pas Internet, on se contentait de casser les genoux du harceleur - Chronique du quotidien pathétique



Chronique du quotidien pathétique: "pour quelle raison tu veux plus me parler? ça fait trente messages que je laisse, répond, putain, merde"... On n'avait pas de portables avant. On s'occupait de brûler la maison de l'oppresseur. On n'avait pas Internet, on se contentait de casser les genoux du harceleur en pleine nuit, sur le trottoir trempé. "Pour quelle raison tu refuses de me parler? Pourquoi tu réponds pas, putain dis quelque chose, je vais prendre un fil à linge pour me pendre avec, je vais me dissoudre dans l'acide, ça sera de ta faute, répond merde, me laisse pas, je te dirai maître, je te dirai tout ce que tu voudras". Avant le web, on rangeait les membres dans des sacs poubelles et on envoyait ça dans l'immeuble HLM pue-la-pisse, on décrochait pas, on pulvérisait. "Pour quelle raison, tu veux pas me parler? On a encore des choses à se dire, j'ai envie de m'étrangler, me jeter du balcon. Si tu réponds pas, c'est ce que je ferai, t'as pigé?" Les histoires qui se disent amoureuses, les loupées, les nazes, on les amenait chez les bouchers pour en faire de la viande hachée. "Tu fais chier! Pour quelle raison tu veux pas me parler. Dis quelque chose, ça peut pas être comme ça, je suis dans le salon, dans mon propre vomi". ça lui passait. Avec les réseaux, ça lui passe plus, ça finit sur des sites complotistes, des billets d'humeur débiles, des articles à chier sur GrosnazeVox... 345 likes, 4901 vus, 5 balles dans la tête. "Pourquoi tu me réponds pas? Pour quelle raison tu refuses de me parler? Putain je lâcherai pas, j'appellerai jusqu'à ce que tu répondes, ou je viens, je te préviens je viens et je te fais la peau! Pourquoi tu réponds pas?" Une vitrine pétée, la rue est déserte, j'arme le chien avant d'aller promener le molosse, le faire pisser sur les lampadaires et sur les portes automatiques du centre commercial. On n'avait des églises chapeautées de croix, on a des cathédrales avec des affiches de filles maigres givrées comme des hamsters... C'est suivi d'une explosion de gelée collante dans la rue piétonne. Les messages se sont estompés. La nuit est passée. A la boulangerie, je prend quatre croissants pour éponger les deux litres de bière et la bouteille de vodka sifflés hier soir...

Léonel Houssam

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