L'obésité de la mégalopole qu'il fallait évider de ses lombrics humains.



Un mois plus tôt, ils étaient réunis en arc-de-cercle au quatrième étage d’une tour qui en comptait quinze. L’endroit était abandonné, la moquette grise foulée durant des années étalait ses traces sombres laissées par les bureaux et les armoires ainsi que de paravents d’openspaces qui avaient fait les grandes heures des dégoulinantes décennies du tout-business…Chacun était cagoulé afin que ceux qui ne se connaissaient pas ne puissent jamais balancer les autres aux autorités. Seul Shaun était à visage découvert, au centre de l’assemblée, arborant un débardeur à mailles jaunes laissant entrevoir ses tétons larges, ses pectoraux sur développés et son gros bide poilu. Son jean avait dix ans d’âge. Ses baskets étaient pleines de boue… Ses yeux bleus viraient au turquoise sous l’effet des rayons horizontaux du soleil couchant frappant la façade de verre de l’immeuble. Ses cheveux argentés coupés courts lui massifiaient son visage déjà très carré. Ils se taisaient tous. Il avait la voix rauque, très grave, déraillant parfois sous l’effet de la tumeur qui lui envahissait peu à peu la gorge : « Bienvenue les mecs… Ce jour est le dernier avant le grand jour. Je vais vous donner les dernières instructions… » 

Ses pierres yeux fusillaient, des marmites de brutalités se déversaient comme de la merde sur les faces tissus des auditeurs, les orages au loin, les chapelets de taule, l'obésité de la mégalopole qu'il fallait évider de ses lombrics humains. "On n'y va pas pour en revenir, nous sommes la vue, la grosse langue du chien qui bave sur la gueule de l'enfant qu'il faut prendre par la main... Vous vous rappelez les enfants ? Ces petites choses que l'espèce humaine se croit autorisée à jeter sur le dégueulis du monde pour satisfaire l'instinct de la bête et l'égoïsme de l'individu... "

"Parce que c'est l'angoisse ! C'est l'effroi ! On est les moins cons des bouffons ! L'angoisse, la peur de rester les bras ballants devant le massacre, la bêtise ! L'immondice collectif ! On est déjà morts oui mais est-ce qu'on est sûr d'avoir vécu ! On est bien nés oui ! Nés d'autre chose... On était autre chose... Et on sera autre chose les mecs ! On a l'angoisse donc, la peur ! On les voit partir par poignées à travers le drap bleu du ciel ! Peur ! Peur !"

Il y avait sur la mégalopole un air ensoleillé matinal à la manière du New York du 11 septembre 2001: "On a eu de cesse de nous monter des histoires simples les mecs. On a gobé parce qu'on avait autre chose à foutre de nos vies: fallait s'occuper des gosses, amener la bagnole au garage, faire les courses, baiser à la Saint-Valentin, jouer les honnêtes gens au boulot tout en gérant des chapelets de branlettes frénétiques sur des étudiantes tarées se faisant sauter dans des films de cul. Moi j'ai pas eu votre chance, j'ai pas eu les miettes des trente glorieuses. J'avais déjà compris que de toute façon, la vie n'est qu'une planète défoncée par des comètes. Si je dirige les opérations, c'est parce que je le dis: 1, on se barre pas sans payer la note, alors tous les trous de balle qui se tirent la pétoche au bide pour Mars, c'est terminé. Soit ils mangent aussi leur merde, soit on les sèche. 2, j'ai une morale. Oui moi le cinglé qui a déjà buté des mecs à coups de pieds et de poings, j'ai une morale. Même s'ils se barrent comme des voleurs, on n'a pas le droit de les laisser partir au casse-pipe en traître. On est tous ici pourquoi ? Parce ce qu'on a découvert la vérité sur ces voyages de colonisation de Mars et parce qu'on a tous perdu un ou plusieurs proches !"

Léonel Houssam

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