Il va bientôt quitter ce monde, c’est pourquoi il parle
Chronique du quotidien pathétique : de ma chambre d’hôpital,
je ne vois plus rien. Je n’écoute même plus le vent, les hurlements des
ivrognes dans la rue. De ma chambre, mes doigts qui tapotent sur le petit écran
tactile me donnent des sensations de puissance, de superpuissance… Ma cavale
dure le temps que la douleur me quitte quelques minutes, quelques heures, si
longtemps, trop peu d’instants, effondré dans l’épuisement. La mouche comme
compagnon, la mouche, les poils aux pattes, son regard en biais, sa façon de
m’aguicher avec ses vols de croisière, ses atterrissages forcés, sa manière
bien à elle de me picorer, me tamponner le gros orteil… Je crois que pour elle,
je suis un art ludique, son parc d’attractions. Mon voisin est un vieux
monsieur qui sent fort le fromage bien fait et qui n’a pas sa langue dans sa
poche (d’urine). Il va bientôt quitter ce monde, c’est pourquoi il parle, il
parle, il parle, il pète, il pleure, il parle, il tousse, il crache, il parle,
il murmure et il gueule, il parle. La mouche l’aime aussi même si elle a une
préférence pour moi, mais surtout la nuit, dans l’obscurité clignotante de la
chambre, dans les tut tut tut des machines, les coui coui coui des chariots,
les floc floc floc des sabots, des tatanes et des savates. Et Malgré tout,
lorsque la douleur s’en va faire son petit pipi, qu’elle part en voyage hors de
mon corps, la mouche veille, vient, et semble vouloir me dire qu’elle est là, qu’elle
tiendrait volontiers ma main, qu’elle guérirait mes os, mon sang, mes organes.
Je la salue, je lui chuchote des viens viens viens, et lui fais signe de se
poser sur ma joue pour me picorer, me tamponner… Elle n’en fait qu’à sa tête et
pourtant elle est là, elle restera là jusqu’à ce que je trépigne une ultime
fois pour m’éteindre et m’enfouir, m’enfuir dans ce couloir à la con qui me
privera sans fin des miens, ou bien, je le sais bien, seront-ils là-bas
derrière à me tendre la main. Je n’en sais rien.
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