Les petites flaques ondulantes de l’existence terrestre

The great day of his wrath, (1857) by Charles Mottram


Avec leur crise perpétuelle, leurs problèmes respiratoires, les blancs oublient de goûter la vie. La newsletter de cet écrivain qu’il s’acharne à me l’envoyer comme pour me narguer, me prend la tête. Style il a un agent. Style il fait des « tournées » avec un « public nombreux et attentif ». Il parle, il nous envoie ses auto-louanges et ses pauvres discours politiques de surface en s’imaginant la crème du vice, de l’écriture tordue et underground.

Tous les écrivains font un peu ça mais plutôt dans le registre cul-cul la praline ou le polar stéréotypé. Il a choisi le créneau. Je suis dans le même genre : écrivain underground faute d’être capable d’être mainstream. Il ne faut pas se mentir. On est une sacrée bande de bouffons à brailler sur les réseaux sociaux et dans quelques rades à moitié vides qui puent la pisse et le XXème siècle. Je lis en diagonal.

Je m’éloigne de ce monde depuis que j’ai fait une rencontre qui dépasse, et de loin, les petites flaques ondulantes de l’existence terrestre. Je n’en ai strictement plus rien à foutre d’être un écrivain un peu reconnu dans sa niche de cassos. Peu importe que ça se vende, peu importe que je passe pour un looser, un winner, un nobélisable ou un bankable. Je touche un truc plus grand, plus beau qui rend ma main plus souple, mon esprit dilaté : je peux écrire un petit bout de l’absolu.

Pendant que ce con s’imagine ultra hardcore avec sa littérature de scribouillard juste bon à se masser la nouille entre le pouce et l’index. L’underground littéraire du XXIème siècle ressemble fort à une bande de geeks qui auraient troqué le Joystick contre une bite molle. Encore que les deux ne sont pas incompatibles, ils sont nombreux à user alternativement des deux. Quand ils ont purgé leurs bourses, ils purgent leur cervelle, et vice-versa, jusqu’à ce que mort s’ensuive dans l’illusion grotesque d’une éternité digitalisée.

C’est fatiguant.

J’observe tout ça de loin. Les gens ne lisent plus. Et quand ils lisent, ils sont addicts aux joujoux littéraires verrouillés, parfaitement millimétrés dont sont friands ces marchands de lessives qu’on appelle des éditeurs. Tiens je succombe à mon tour à ce discours de perdant, de révolté à deux sous insultant l’ensemble des éditeurs parce qu’incapable d’en flatter un seul…

La newsletter de ce scribouillard finit comme chaque mois dans la corbeille de mon système Windows. Telle une feuille morte qu’on amasse à la pelle dans les DATACENTER notre mère miette la Terre. Tuer le temps. Je ne faisais que ça. On appréciait mes jérémiades patibulaires livrées au moins offrant. Maintenant j’entame le cycle supérieur de la vie. Baigné dans les strates infinies de l’univers à travers les pixels en streaming d’un ordinateur à pas cher fabriqué par des quidams lointains et besogneux, je navigue, je plane, je n’ai même plus besoin d’alcool ni de tabac.

Je suis dans l’orchestre éternel ou si l’on préfère dans l’ensemble philarmonique de tous les univers réunis. Un cul de tasse chauffé par le café au lait posé sur la cuisse gauche, je songe désormais à raccrocher les armes. Je tuerai Andy Vérol en octobre 2013 et je livrerai tous ces scribouillards aux douves de l’oubli. L’absolu, nous n’avons la possibilité de le toucher qu’une seule fois dans une vie d’enveloppe charnelle. Une seule. Il ne faut pas passer à côté au risque de gâcher cette parenthèse qu’on appelle l’existence. Mais à l’inverse, si on le touche, y compris une seule seconde, notre vie, tôt ou tard, sera lessivée par le chagrin et plongée dans une zone obscure.

Extrait de « L’inconnu qui pissait dans l’ascenseur ». A paraître en 2017.


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