Le bruit des autres




Le bruit des autres, celui des murs, de leurs pas dans le sol, de leurs cris, leurs rires, leurs engueulades. On est surtout le fantôme des autres. Il n'y a qu'à regarder leurs gueules à travers les pare-brise de leurs bagnoles. Parer briser. Le bruit des autres. Leur silence. Leurs faces de merde, de gens "biens", de gens "normaux", de gens... Bertrand nettoie son arme sans prêter attention aux déflagrations du combat.
"J'ai abattu ce gars comme je baise de force une fille qui fantasmait sur moi.
- Tu veux dire quoi par là?
- Je suis pas le plus moche alors j'attire quelques meufs. Y'en a beaucoup qui ont envie de toi dans la globalité, qui veulent partager des moments, des mots, des câlins, des regards, des repas, une vie... Toutes ces conneries, tu les vois dans leurs yeux. Dans leurs tenues. Toi tu penses que le vernis, le rouge à lèvres, la jupe, les talons servent à te faire grimper la queue, mais non pas que... C'est plus que ça. Faut mettre tout un attirail d'attitude pour les exciter vraiment..."

Une balle perçante ricoche sur le coin du vasistas avant de se planter dans le dossier du fauteuil sur lequel il est vautré. Il s'empresse de s'asseoir sur le sol suivi de Pierre qui reste accroché à ses lèvres :
"Alors ?
- Alors quand je vois que la fille attend tout son tralala de séduction, je grille toutes les étapes et je la baise avant même d'avoir mis les pieds dans le restaurant où je l'ai invitée. 
- Tu la violes quoi... 
- Nan, j'écourte le protocole..."

Son rire égale la puissance sonore des échanges de tirs.
"Quand j'ai buté ce putain de troufion ce matin, je l'ai fait parce que je sentais qu'à force de me regarder derrière mon sac de sable, il commençait à ramollir. Il devait se demander quel genre d'enfoiré j'étais... Faut pas commencer à projeter son esprit dans l'autre sinon on devient sa chose. Les sentiments, ça assèche la vigilance, ça salope l'esprit de vengeance, ça éteint le désir animal, la force brutale, l'énergie première... Quand les ancêtres chassaient le mammouth, ceux qui allaient tuer la bête l'observaient pas pour admirer sa fourrure et son regard d'abruti mais pour déterminer l'angle d'attaque le plus approprié pour l'abattre... C'est ce qu'on doit préserver dans notre République: l'instinct de survie, la démocratie des affamés rageurs. Allez lève ton cul, fin de la pause, faut retourner se battre "

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