Qu’une alternative au capitalisme : notre disparition




Bertrand déboule dans la cave, il ouvre la porte de cellule 1. Il tire une balle entre les deux yeux de l’un des quatre prisonniers.
« L’urne était pleine. J’avais besoin de baisser la pression ».
Le corps est traîné par un combattant et lui-même. Le combattant est Loïc, un lycéen idéaliste qui rêve de mettre le capitalisme au sol.
« On traîne le cadavre du capitalisme mon petit ».
Le corps pèse très lourd. Les morts semblent scellés au sol et sans une force herculéenne, il est impossible de les détacher de l’endroit où ils gisent.
«Ne dis rien aux autres pour l’instant ».
Trop tard. Les cris des autres prisonniers ont attiré l’attention des combattants en faction aux abords de la maison. Ils regardent les deux hommes tracter le macchabée vers l’arrière-cour de la maison. Des misères. Des odeurs d’arbres blessés par les balles. Il dépose le soldat mort à côté d’un bac à fleurs.
« Va chercher du whisky, de l’huile de vidange, de l’alcool à 70. En quantité. On va le flamber »
Pendant que Loïc court tel un zombie à la recherche de produits inflammables, Bertrand use de ses dernières forces pour entraîner le corps dans le petit cabanon où s’entassent pelles, bèches, râteaux et outillages. Il est essoufflé. La sueur luit, il ressemble à un gogo-dancer sensuel et brutal, une bête de sexe assoiffée de jus de corps. Il crache dans les paumes de ses mains qu’il essuie ensuite sur les pans de son jean blanc. Des traces roses rayent le coton. Il siffle. Loïc approche. Ils répandent le contenu des bouteilles sur le corps, s’éloignent avant de jeter un torchon enflammé. Le feu de guerre, et le feu de joie, une vie terrestre calcinée de plus. La République s’étire vers le ciel en un panache de fumée noire à l’odeur de viande brûlée. Les soldats ennemis, check-point du nord, tirent des rafales en direction du brasier, là où se consume leur collègue, partenaire, alter-ego.
« Tout est foutu. Me suis dit ça aujourd’hui. Oui il y a l’abus d’alcool, les viscères qui font mal à force d’avoir la chiasse. L’estomac traversé de part en part par les flèches ulcère. Je baise plus pour oublier que je vais nulle part. Je baise parce que c’est un antidépresseur. Je bois parce que c’est un antidépresseur. Je tue parce que c’est un antidépresseur… Plus besoin de psy, de médocs, rien. Ce n’est pas de bousiller des vies ou la sienne qui plonge dans le naufrage de la dépression, c’est l’oisiveté, la soumission, c’est le confort obligatoire, l’absorption incessante de produits industriels, c’est de ne pas chasser, de ne pas sentir la mort, la voir, en être dégoûté jusqu’à la gerbe avant de s’y habituer, du moins s’y accoutumer. C’est de se croire immortel sur Terre jusqu’à ce qu’un proche crève, en faire tout un cirque, un deuil d’une vie quand une femme sur deux mourait en couche, qu’un enfant sur deux crevait avant l’âge de cinq ans quelques décennies en arrière. On y revient. Ce monde assassine des assassins qui assassinent des futurs assassins. Les médecins, la recherche, les industries pharmaceutiques, agro-alimentaires sont des assassins, des innocents. Tout le monde tue, tout le monde sauve. Mais personne n’accepte la mort, le crime comme seul antidépresseur »
Loïc le fixe. Les flammes très hautes, bruyantes, puissantes calcinent l’intégralité du cabanon, du corps. Les balles fusent plus loin. L’ennemi s’inquiète, s'interroge sur la cause de cette incendie. Loïc est triste :
« Mais ici, on se bat pour un monde meilleur. Au moins pour essayer autre chose que ce capitalisme de merde.
- Tu es jeune. Y’a bien fallu que j’attire tous ceux qui étaient prêts à mourir pour une cause pour créer cette République. Non, mais non, sûrement pas non. On ne changera rien. Le monde est extra-humain, est au-dessus des hommes. L’Histoire est le récit chronométré et parcellaire de ce qui n’existe plus mais qui justifie que nous continuions à être d’immondes prédateurs et destructeurs. On ne veut pas changer le monde. On veut revenir au meurtre sans peine, à la nature propre de l’Homme. Nous ne voulons pas changer le monde, nous tentons une expérience locale pour la démultiplier à grande échelle. Nous sommes au bout du bout. Il n’y a qu’une alternative au capitalisme : notre disparition. Et je compte en profiter, vivre tout ça jusqu’à la dernière seconde, jusqu’à ce qu’une de leurs putains de balles me transperce le corps »

Les yeux de Bertrand injectés de sang. Les yeux de Loïc remplis de larmes. Il soulève son arme qu’il braque sur le ventre de ce mentor au regard fou.
« Mais tu fais quoi Loïc ? Petit con ! Tu veux me buter ? Mais vas-y merdeux ! »
D’un geste rapide, brutal, précis, Bertrand choppe le canon, saisit le poignet de l’adversaire et le casse d’un coup net. Le cri de douleur dure à peine cinq secondes. Bertrand loge une balle dans le cœur du jeune homme qui s’effondre avec un rictus de clown imprimé sur la face. Une seconde dure des heures. Aux instants figés succèdent les mouvements saccadés. Le corps de Loïc est à son tour jeté dans les flammes. Les bras levés vers le ciel, fixant d’autres combattants paralysés par l’effroi, il lance : « La République, c’est moi ! »
Extrait de « Notre République ». Nouvelle en cours d’écriture.

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