D'une haine incontrôlable



Je remontais le Boulevard à contre-courant des heurts entre les émeutiers du quartier et les forces de l'ordre. Prudemment, j'avais décidé de frôler les façades des maisons. Je marchais d'un pas rapide, sans courir, croisant les regards des CRS qui faisaient route vers les échauffourées. Les yeux, les narines, la bouche enflammés par les effluves de lacrymo devaient me donner l'apparence d'un être qui avait pleuré un proche durant plusieurs jours. Plus je m'éloignais de la confrontation et plus je me sentais l'esprit léger, libéré de la tension, dégagé de la pression étrange que sécrètent de tels mouvements de masse. Les odeurs de pneus enflammés, de métaux brûlants et de ciment réduit à l'état de poussières plâtrant les cloisons nasales étaient encore très présentes.
À trois cents mètres à peine du campement de fortune sous le pont sautant le fleuve où j'avais dû faire une brève escale et où se trouvaient mes papiers dans un sac à dos, j'empruntai une place au bout de laquelle une grille de trois-quatre mètres de hauteur faisait obstacle. Seule une petite porte permettait de la franchir mais obstruée par le flux continu d'antiémeutiers rejoignant la zone de combat. Je restais donc là, observant la colonne humaine, assez détendu mais impatient de récupérer mes affaires et de quitter cette région.
C'est alors que bondit un CRS, s'arrachant littéralement du sol, tel un renard sautant museau tendu dans le terrier d'une portée de rongeurs. Le choc de la carcasse de robocop contre mon corps figé fit trembler l'intégralité de mon squelette, chaque os bastonnant chaque millimètre de viande sous ma peau. Éjecté contre le sol, le visage râpé par les graviers couvrant la place, je ne sentis rien sur l'instant, comme une absence, un trou noir qui aurait duré une seconde et des mois à la fois.
La firme de mon esprit cessa d'un coup de produire des pensées.
En reprenant conscience, je sentis des douleurs aigues, à la limite du soutenable dans ma nuque tordue, mon épaule et coude gauche et à ma hanche droite. J'étouffais. J'avais du mal à respirer. Le Robocop bleu blanc rouge était sur moi, un genoux au sol, un pied contre l'arrière de ma cuisse et sa main tordant mon poignet gauche contre mes lombaires sécurisée par son coude écrasant ma fesse droite.
D'une voix fluette, asphyxié, je tentais poliment de lui dire de me lâcher, de lui expliquer le plus calmement possible que je me sentais partir du fait des douleurs atroces et de l'oxygène qui parvenait en trop petite quantité dans mes poumons. Mais rien n'y fit. À chaque mot, il accentuait la pression. Sa voix était imbibée d'une haine incontrôlable et d'une jubilation démente.
"On va t'interner pour toujours espèce de sale merde. 
- Mais pourquoi ?!"

Je n'entendis plus rien, emporté dans un coma qui dura plusieurs jours...

Extrait de la nouvelle en cours d'écriture: "Obsolescence programmée de l'hiver" (tétralogie de nouvelles comportant également "Notre République" et "Reine-mère", cette dernière étant toujours en cours d'écriture)

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