Les blacks blocs ne sont pas des casseurs




Je vais vous raconter un petit morceau de ma vie. Lorsque j’avais 17, ou 18 ans, lors d’une manifestation lycéenne, je me suis retrouvé embringué (volontairement) dans un groupe, « le groupe de tête » comme on dit aujourd’hui, le groupe des « anars », le groupe des « autonomes » comme on le disait encore en ce début des années 90. Le terme black bloc n’est qu’une modernisation de ce qui existait déjà à une différence près qu’il y a une uniformisation des tenues dans le but de brouiller la vue des renseignements généraux et des forces de l’ordre mais aussi dans le but d’impressionner les manifestants plus classiques. J’étais de ceux qui arboraient un style « keupons-destroy-machin-truc » et je défilais avec ces personnes qui étaient souvent plus âgés que mon pote et moi. Nous, les « anars » avancions devant et nous nous chauffions en attendant de faire face aux barrages de CRS censés canaliser le parcours de la manif.
C’est à ce moment-là qu’apparurent les « casseurs ». Les casseurs se distinguaient des groupes politiques dans la mesure où ils déboulaient des cités de banlieue pour aller défoncer les boutiques. Pour lutter contre des symboles du capitalisme ? Pour manifester leur rage contre le système ? Pas du tout. Ces bandes explosaient les vitrines et cassaient la gueule au service d’ordre de la manif pour détruire et surtout pour « pécho » de la marchandise. Lors de l’un de ses assauts, sur un magasin C&A, des dizaines de mecs en survêt’ entraient et sortaient par les vitrines défoncées avec les bras alourdis par de la marchandise piquée sur les cintres. Voilà ce qu’étaient les casseurs, ni plus ni moins. Ceux-ci s’opposaient même aux « autonomes » qui venaient les voir pour leur dire qu’ils pourrissaient la cause politique du mouvement. Gros bordel. Des « anars » se sont faits démolir par les lascars par dizaines… Et puis les années 2000/2010 sont passées par là. Les lascars se défoulent sur les consoles de jeux et se baladent dans la rue façon mi-métrosexuel mi-footballeur (autant dire qu’ils sont devenus les nouveaux beaufs d’une génération loin de l’esprit gang de leurs aînés).
A l’époque, je n’ai pourtant pas fait long feu dans ces « groupes de tête » (c’est le sens de ce texte en fait) parce que je ne me sentais pas de me faire casser la gueule pour une bande de connards. Car effectivement, au sein de ces « Blacks blocs originels », il y avait un peu de tout. Des petits blancs en mal de sensation forte, des petits blancs convaincus qu’il fallait « plier » le système sous la force de leurs épaules frêles, des vieux mecs anars du genre autoritaires à te dégoûter de la mise en pratique d’un monde régi par l’anarchisme politique, des cassos, des marteaux, des crevards, des excités mais aussi –et c’est ce qui m’a sans doute définitivement convaincu de ne plus retourner dans ces groupes- des « infiltrés », des flics, des personnes du renseignement… Ce qui laissait entendre leur présence, c’était qu’ils donnaient des ordres –ce qui, dans un groupe anarchiste est aussi cohérent qu’un SDF te secouant une liasse de billets de 500 balles sous le pif- et t’orientaient là où tu ne voulais pas aller. « Eh toi le p’tit ! Tu vas devant et tu gueules « CRS SS » et magne-toi le cul »… Euh, comment dire ? En fait le groupe –le block- se comportait comme un seul homme avec tout de même des meneurs, des chefs… Putain, des chefs… Cette sensation de faire partie d’une imposture politique et intellectuelle fut tellement vive que j’en suis parti furieux et à jamais « guéri ».
Le 1er mai 2017 fut aussi « chaud » que celui de 2018. Sans doute moins de Blacks Blocs mais le petit Manu n’avait pas encore saboté un peu plus encore le droit des travailleurs salariés… Il n’avait pas encore offert des milliards d’euros d’argent public (autrement appelé un cadeau fiscal) aux milliardaires. Mais le black bloc de mai 2017 fut tout aussi présent que celui de 2018… Les « casseurs » (les mecs de banlieue assoiffés de prêt-à-porter) avaient disparu. Je n’ai vu qu’une foule en noire présente pour en découdre avec la police et l’ultra-libéralisme. J’ai traversé ce bloc durant un demi-heure, peut-être une heure et puis je m’en suis écarté. L’atmosphère lourde des murs de CRS entourant ce bloc et la haine qui se dégageait des deux camps m’a donné du souffle et un aperçu de notre avenir à tous…


Je me rappelle à chaque fois un esprit bon enfant. Il n’est pas utile de faire des essais à tour de bras sur la question. La violence n’est pas une fin mais un moyen, celui qui succède aux manifestations dites « pacifiques », bien organisées, co-organisées généralement par le pouvoir contesté par ceux qui défilent.
Ainsi depuis des décennies et plus encore ces dernières années, le pouvoir n’a de cesse de tromper l’opinion avec sa fameuse « chanson douce que me chantait mon état-maman » :


« Le droit de grève est un acquis de longue lutte, un droit important en démocratie mais faut pas déconner quand même, on marche en rang de République à Bastille, de Bastille à Nation, de Nation à mon cul »…
Les slogans sont impeccables, le gros ballon CGT ou la grande banderole derrière laquelle des Messieurs/Dames en écharpes bleu-blanc-rouge crient que « c’est pas bien ! Faut pas faire du mal aux travailleurs ! On va faire flipper le pouvoir sur ce morceau de boulevard que le pouvoir nous a gentiment octroyé après que nous ayons bien rempli des tonnes de paperasses, qu’on ait bien dit au chef de la police qu’on serait pas contents mais qu’on serait sages quand même »…
Les blacks blocks (ou blocs) font un autre choix. La violence n’est pas une fin. Elle est un moyen. Celui de forcer le pouvoir à jouer aux gros bras et à conforter ses ouailles trouillardes. Celui de rappeler aux organisations syndicales qu’à force de bouffer à la même table que leurs « ennemis » (on dit partenaires sociaux, c’est dire la connivence de dingue entre ces « ennemis »), que défiler au pas mollasson de la contestation de bulots ébouillantés par le consumérisme et le conformisme, que nier la rage, la colère ou nier le besoin d’en découdre avec un pouvoir des élites politiques, économiques ultra-libérales, c’est s’asseoir sur une option qui devient une nécessité...
Qui a été battu, tué, rossé par un black bloc ? Personne. Sauf des flics qui, faut-il le rappeler, sont là pour protéger le pouvoir, la propriété privée et les intérêts de ceux qui gouvernent le monde...


A suivre…

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