La mort déviée de son lit qui inonde la civilisation



Le petit matin ressemble à une soirée pluvieuse. Cette nuit blanche ne l’a pas assommée. Elle tient aux nerfs, aux hormones, à l’envie de fuir d’ici.
Le territoire C0 est une pieuvre de baraquements, de maisons fragiles, sans âme, d’entrepôts, de bâtiments administratifs et des manufactures en parpaings gris et aux toitures de tôles s’étalant sur trois collines déboisées. Tout autour, une forêt malade, asphyxiée par les sécheresses, les tempêtes et la main humaine en manque de charbon de bois. Les rues s’enchevêtrent, les ordures s’accumulent. On chie, on pisse n’importe où. Les hommes qui ne besognent pas boivent, et se battent, et se marrent, et se jettent sur des passantes de tous âges pour les prendre de force dans un coin, contre une poubelle, une carcasse de voiture, un pylône désaffecté… N’importe où, à n’importe quelle heure.
Elle voudrait fuir mais il lui faudrait se faire abuser une dizaine de fois avant d’atteindre la frontière du territoire. Le couvent est calme. Les sœurs marchent sans faire de bruit, papotent à peine en chuchotant par binômes. Le petit déjeuner est frugal. Une tranche de pain et un bol de verveine en infusion. Les miliciens et les hommes de l’armée de Mehdi Sanchez sont persona non-grata.
Sœur Corinne a l’air grave mais les yeux brillants de bonté. On ne lui donne pas d’âge. Elle s’assoit à côté d’elle et lui caresse son ventre rond :
« J’aurais aimé porter un enfant. 
- Vous avez qu’à le faire. 
- Les Sœurs n’en ont pas le droit. Le Seigneur l’interdit. 
- Mais vous avez le droit de piquer les gosses des autres. 
- Pas piquer. Cet enfant sera peut-être le mien. Tu le sais bien. 
- Ouais, vous l’avez acheté. Et Dieu, il trouve ça bien. 
- Je verserai le reste de l’argent s’il s’agit d’une fille. 
- Et si c’est un garçon, c’est moi qui galère avec.
- Ce sera ton fils, né d’une union perverse. 
- C’est pareil pour la fille…
- Evidemment non. Elle intégrera le couvent, et nous en ferons une sœur pure au service de notre Seigneur »

Elle trempe le pain trop sec dans le bol de verveine. Des miettes s’en échappent et se déposent dans le fond. Elle adore cette mousse de mie de pain qui s’engouffre dans sa bouche à l’ultime gorgée. 
La pluie s’abat dans le jardin joliment entretenu. Une pluie d’orage qui précède la période de mousson qui arrose tout le continent européen au printemps depuis une décennie. C’est la nuit en plein jour. C’est la mort déviée de son lit qui inonde la civilisation. Elle crache par terre. Sœur Corinne désapprouve mais ne lui dit rien.

« J’espère que ce sera une fille. Elle sera bien parmi nous. 
- Entre pucelles.
- Ne parle pas comme ça dans l’enceinte du couvent. 
- Si Dieu est partout, il entend aussi quand j’dis ça à l’extérieur. 
- Fais attention à tes mots. Tu as déjà tant pêché. Et maintenant, passe à l’infirmerie pour qu’on te soigne toutes ces vilaines plaies sur ton visage »

Avec son orteil nu, elle était son crachat sur le pavé. La journée sera longue.
« Tu pourras voir ton homme un instant dans la journée. 
- Il est où ?
- Il a sans doute dormi dans un refuse. Ici, les hommes ne sont pas autorisés.
- Sinon ça vous ferait trop mouiller les sœurs »

Son rire est clair. Ses traits de jeune fille rejaillissent. Elle se sent bien et prie Dieu pour que l’enfant soit un garçon.
Extrait de « Reine-Mère »

Plus de la moitié des sœurs est obèse. Les offrandes du Peuple finissent dans les bides chargés de faire la promo de leur Dieu feignasse... Elle regarde la cuvette, la sciure de bois plus rare que la merde et la pisse.

Extrait de « Reine-mère »

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