Une femme sans-abri humiliée

Photo: dames ignorant les larmes d'une sans-abris


Vous me connaissez, je n'essaie jamais d'arrondir les angles. Ce matin dans le RER, la foule des besogneux s'entassait pour aller accomplir son turbin parasitaire et continuer autant que possible à détruire le monde tout en affirmant qu'il participe à sa croissance. Peu avant la station Châtelet, une dame en surpoids, transpirante, habillée de multicouches d'habits sales et dépareillés s'est tenue debout dans l'allée centrale et s'est mise à parler à voix basse, très basse. Et j'ai écouté. Elle demandait une pièce ou un ticket resto ou juste un sourire. Elle disait vivre dans la rue avec son fils de sept ans. Je n'entendais pas tous ses mots mais je voyais toute sa souffrance et le sentiment de détresse et d'humiliation qui firent baisser un peu plus encore le ton de sa voix. Cette voix, ce murmure se transforma en sanglots. De grosses larmes trempaient son visage. Son désespoir dégoulinait de tout son être... Mais autour il ne se passa rien. Elle finit par s'asseoir et pleurer en silence, fourbue, humiliée. Personne ne prêtait attention à elle, du moins chacun faisait semblant de trouver un peu plus d'intérêt à son écran de portable ou aux pages d'un livre. Moi, y compris. Mais je m'effritais dedans. Lâche. Idiot. Occidental. Je suis resté les yeux fixés sur mon portable avant de me lever pour sortir. Quelque chose en moi m'a rendu un peu de mon « humanité». J'ai pioché une pièce dans ma poche, j'ai posé ma main sur l'épaule de la dame, je lui ai souri, gêné, et j'ai déposé la pièce dans sa paume. Je n'ai pas réussi à lui dire un mot tellement ma gorge était serrée, tellement je me suis senti crétin et affreux. Tout autour, les automates ont continué à détourner le regard, à faire comme si "on a tous une vie pas facile" à côté de cette femme effondrée. Parmi ces mutants modernes dont je fais partie, il y avait des chrétiens généreux, des musulmans généreux, des humanistes généreux, des fans du concert des Enfoirés, des personnes qui veulent moins de misère dans le monde, etc. Mais personne n'a bougé le petit doigt. Tout le monde a fait comme si ça n'existait pas. J'ai immédiatement transposé ça au monde effondré dans lequel nous serons tous plongés un jour, bientôt. Et j'ai vu une chose : de l'ère pré-extinction, point de salut pour les plus faibles. Tout le monde jouera sa propre partie et rien d'autre qu'un chaos sans nom surgira de cette rapide destruction du monde. Sur quelques mètres carrés d'un wagon de RER, j'ai savouré la nature humaine : les monstres se logent dans tous les bipèdes.

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