Le Bisounours of Hell où les bourgeois inférieurs se défoncent



En sortant du QG/Bordel, Polo, main dans la main avec Aline respire l'air plus doux du milieu de la nuit. Les lentes donnent naissance aux poux, la merde se transforme en terre riche nourrissant la nature luxuriante. Des détonations parviennent des bas-quartiers. Les foules s'énervent, envahissent les pâtés de maisons, d'immeubles, de tours laissés à l'abandon pour les élites... Depuis longtemps. Les enragés tentent en vain de passer les checkpoints, essaient de gravir le grand mur, de traverser les tapis de fils de fer barbelés sans jamais y parvenir. Quelques oiseaux sifflent la fin du monde à la recherche de larves. "Nous allons boire un verre. On va fêter ta première baise avec une pute". 

Aline est souriant, son tee-shirt trempé de sueur dévoile un torse puissant, des épaules carrées. Ses dents encore blanches, ses lèvres charnues, ses yeux noirs brillants à l'instar de ceux d'un loup affamé. Il savoure, il ne se pose plus de questions. 

Ils s'installent sur la terrasse du Bisounours of Hell où les bourgeois inférieurs se défoncent la tête à coups d'alcools faits maison. Ils commandent deux gnôles puissantes qu'ils sirotent. Le brise gourmande frotte son cul sur leurs visages. 

"On bougera demain. Je crois que j'ai besoin d'un peu de répit". 

La voix de Polo est rauque d'émotion. 

"Les chiens errants ont tous été bouffés, en ragoût ou grillés. Il n'en reste plus un seul. Les chats ne sont pas mieux lotis. Tu vois que même ici, chez les privilégiés, on commence à en chier. Il y a encore quelques mois, on pouvait trouver des variétés incroyables de légumes, de fruits et de viandes. On ne manquait de rien. Et oui je sais que c'est grâce aux razzias de nos gars sur vos territoires qu'on pouvait se le permettre. Mais la foule est de plus en plus incontrôlable. Elle rugit. Ecoute leurs flingues, écoute leurs bombes. Je ne sais pas comment vous vivez, comment vous survivez. On dit que vous crevez sous les coups, que certains d'entre vous en bouffent d'autres. On raconte tout ça ici. On a bien quelques images qui nous parviennent quand il y a de l'électricité sur toutes les nations. Mais à part ça, on ne fait plus qu'imaginer, que cauchemarder. Et toi que sais-tu de chez nous? 

- On dit que vous vivez dans un luxe inouï. On dit que vous êtes tous dégénérés, qu'il n'y a plus de différence entre les hommes et les femmes. On dit que le président n'est qu'une marionnette et qu'en fait ce sont des hommes puissants, détenant toutes les richesses de la planète qui dirigent tout. On a vu que vous nous voliez tout, notre nourriture, notre eau, nos enfants et beaucoup d'entre nous. 

- Te voici aussi enlevé Aline. Tu es maintenant mon prisonnier. Ce n'est pas si terrible, n'est-ce pas?

- C'est bizarre. ça me paraît trop facile. 

- Tout est facile ici même s'il n'y a plus de viande, presque plus de fruits et de légumes. Mais c'est facile, c'est savoureux, c'est comme un paradis. Attention, pas le paradis du début du XXIe siècle, avec les télés, les belles voitures, la bouffe à gogo et les voyages à travers le monde. Désormais, on ne peut plus quitter nos seigneuries, on est dans une prison à ciel ouvert où chacun peut jouir comme il veut. Ce n'est plus la profusion, ce n'est plus l'énergie à tous les coins de rue, ce n'est plus la facilité comme on l'entendait. Pourtant, on respecte nos valeurs, le contraire de vos valeurs, vos valeurs de MERDE! Vos petites baises entre sexes opposés, vos préceptes crétins issus de milliers d'années d'aliénation mentale. 

- Tu dis ça alors qu'on subit des attaques et des enlèvements chaque nuit. 

- Evidemment! Si nous voulons conserver nos seigneuries, si on veut continuer à vivre, à s'amuser, il faut vous tenir sous une chape de plomb. Vous avez interdiction de faire tout ce que nous faisons. Nous vous l'habillons avec du Jésus, du Mahomet ou une morale minable ancrée dans vos esprits de survie. Quand vous pensez que le Président est une marionnette, c'est nous-même qui avons répandu cette idée parmi vous. ça n'est pas compliqué. Il suffit d'habiller tout de mystères, de complots permanents. 

- Et pourquoi faire? Et pourquoi tout me dire aujourd'hui?

- C'est vieux comme le monde. Il faut provoquer les masses populaires, les pousser dans leurs retranchements au point de les pousser au soulèvement, les pousser à la faute, les mettre face à leurs propres contradictions. Les masses ne forment pas un corps, c'est simplement l'agglomérat de cellules folles qui forment un essaim provisoire. Lorsque l'essaim est parfaitement constitué, il n'y a plus qu'à l'enfumer. 

- On a quand même chopé quelques-uns de vos hommes, on a détruit quelques-uns de vos avant-postes. 

- Là encore, nous sommes à l'initiative de tout, absolument tout, y compris des dommages causés dans notre propre camp. Il faut donner quelques su-sucres aux masses pour gérer le flux et reflux de ses frustrations perpétuelles."

Les verres s'enchaînent. Les conversations vont bon train sur la terrasse. Quelques policiers harassés rejoignent la clientèle pour s'enivrer à leur tour. L'électricité est rétablie. Les lampadaires redessinent les silhouettes fantomatiques. 

"Aline, ce qu'il faut que tu comprennes, c'est que nos hommes, c'est vous.
- Je ne comprends pas. 
- Tu comprendras vite". 

Extrait de "Les silhouettes fantomatiques non-genrées" (Nouvelle en cours d'écriture)



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