Mise au ban d'un écrivain non-formaté




Je ne vais pas tourner autour du pot et je vais tenter d’être concret. En 2015, je passais une soirée bien arrosée avec le directeur de collection de Série Noire chez Gallimard. C’est via une jeune assistante éditoriale ayant lu le manuscrit de « Chronique de la Mort au Bout » que le bonhomme m’avait contacté. A la lecture du roman, il avait été frappé par le style, « l’histoire », le traitement que je faisais d’un sujet bien sombre.
Nous nous sommes retrouvés dans son « fief », un bar sans âme non loin de la Gare de Lyon à Paris. Avant de nous transformer en fêtards défoncés, nous avons « debriefé » sa lecture. Il me lança : « si je viens te voir un dimanche, alors que je suis normalement en famille, c’est parce que tu as un truc incroyable ».
Il avait lu le manuscrit avec une réelle attention et un œil expert. Assez rapidement, il me lança : « J’ai adoré mais ce que je veux, c’est que tu écrives comme les quinze premières pages, et que tu en fasses un roman complet ». Je lui répondis : « En gros, tu aimes 15% du livre et tu veux que je réécrives les 85% restants ». Il acquiesça.
Pour info, ces 15 premières pages, je les avais écrites pour « harponner » le lecteur. C’est-à-dire que j’y déployais un style « classique » et une narration correspondant aux standards du polar contemporain. Autant dire que mon harponnage était pour lui le cœur du roman. Pour moi, il était un moyen d’amener le lecteur vers la narration, le fond que je voulais exprimer. En gros, il me demandait de vider le contenu de ce qui faisait ma singularité. Je ne me sentais pas capable de « plier », je ne me sentais pas d’écrire un roman qui ferait « plaisir » au directeur de collection dans l’objectif de « rassasier » des lecteurs en attente d’un récit formaté. Il me trouvait têtu alors même que je ne demandais qu’une chose : qu’il m’accompagne pour améliorer le livre et non pour le réécrire intégralement. Notre « collaboration » s’arrêta là.
J’ai soumis « Chronique de la mort au bout » à bien d’autres éditeurs qui le refusèrent généralement avec un courrier standard avant retour du manuscrit à mes frais. Certains me proposèrent même de l’autoéditer sur leurs sites/partenaires/filiales d’autoédition. Une petite humiliation qui ne fit que gonfler ma colère à leur encontre.

L’un d’entre eux, un « gros » éditeur, à qui je proposai ce roman et un projet de tétralogie prit le temps de m’écrire. Il m’expliqua qu’il adorait mon style, que j’avais du talent, etc. Mais il finit par conclure en m’indiquant qu’au-delà du fait que j’étais un bon auteur, ce que j’écrivais était trop sombre et mon regard sur le monde – même s’il était totalement valable, crédible et même réaliste – ne pouvait être publié car « Je me refuse à accepter que vous ayez raison, ça me déprime trop, je préfère ne pas diffuser un tel écrit ».
Bref. J’ai laissé tomber depuis (c’était en 2014-2015), épuisé par ce feu de barrage collectif des acteurs de l’édition française. J’ai opté pour un repli bénéfique pour ma psyché. Courir, demander, et pourquoi pas supplier des personnes qui reconnaissent mon talent sans mettre une fois leurs couilles sur la table pour le proposer à des lecteurs, c’est au-delà de ma personnalité.
J’ai édité « Chronique de la Mort au bout » par mes propres moyens. J’en ai écoulé mille exemplaires à ce jour avec une écrasante majorité d’avis positifs. Pour le suivant, DATACENTER, ce sont les Editions du Pont de l’Europe qui ont accepté de le publier. Un éditeur très exigeant – c’est donc flatteur pour moi – qui, hélas, n’a pas les moyens d’une diffusion en librairie. J’en ai pourtant écoulé plusieurs centaines, avec des avis 100% positifs par dizaines.
J’ai cru que j’étais né à la mauvaise époque. J’ai cru que ces dernières années, depuis les années 80/90 disons, les éditeurs français s’étaient rétractés sur leurs pré-carrés intellectuels et moraux ainsi que sur leur stratégie purement commerciale concernant la proposition littéraire française. Je me trompais. Ce qui suit est la réponse de M.-G. Micberth aux refus multipliés des éditeurs à signer un contrat avec lui. Ça date de 1970 et ça ne fait qu’indiquer que le monde de l’édition parisienne et même au-delà, est grosso modo repliée dans une forteresse morale, voire politique, qui cadenasse la création littéraire. J’ai conscience d’écrire des livres « durs », radicaux, qui défoncent la morale générale actuelle et proposent une « autre voie », une « autre voix » aussi. Je ne suis pas dans leur air du temps et pourtant je suis convaincu que je suis dans le smog de notre époque, bien plus qu’eux. Ecrivain des périphéries, écrivain au ton et style sans concession, je suis plus représentatif de notre ère que ces gens qui vivent en vase clos. Je laisse la parole à Micberth qui écrit ce que je pourrais écrire moi aussi mais 50 ans plus tard.

M.-G. Micberth, 1970:
« Depuis près d’un siècle, l’édition en France connaît des injustices littéraires qui dépassent de très loin la plus fertile des imaginations. » Pour info, c’est ainsi que Micberth commence un court pamphlet sur l’édition, rédigé et diffusé en 1970, deux ans avant l’aventure du « Chauvache ». Il a étudié le microcosme germanopratin et dénoncé l’esprit qui souffle sur ce petit monde. « Il fut un temps où l’éditeur se sentait le devoir de conseiller, d’améliorer, voire d’aider le jeune auteur aux textes imparfaits. De nos jours, ce travail est parfois confié aux lecteurs ou aux directeurs littéraires. Les lecteurs sont souvent recrutés dans les universités, exercent jeunes et n’ont par conséquent pas obligatoirement le sens littéraire. Les directeurs littéraires sont, dans la plupart des cas, des auteurs moyens qui trouvent dans cette activité la possibilité d’améliorer leur niveau de vie. On sait que la constitution morale d’un auteur moyen est inconsciemment égocentrique et lui dicte, au regard des confrères, une position de recul très largement subjective Pour l’exemple, il suffit de fouiller les correspondances interprofessionnelles de ces directeurs littéraires. On est surpris de constater avec quel mépris ils considèrent les ouvrages qui leur sont proposés. » Ainsi, rien ne l’étonne donc dans ce premier tour de piste du « Pieu », qui fera via Jacques Lanzmann un second tour chez Denoël, en juillet 1973. La lettre d’accompagnement rédigée par Micberth mérite qu’on s’y attarde :
« Cher Monsieur,
Je tiens d’abord à vous remercier d’avoir pris la peine de lire mon ourson Le Pieu chauvache. Mme M. m’a précisé que vous étiez disposé à éditer ce roman à condition que je le rewrite entièrement.
Hé hé !
J’avoue ne plus très bien piger. Un éditeur me dit : « Votre style est fantastique (sic). Enfin voilà l’écriture que nous attendions. Malheureusement votre histoire est trop invraisemblable, et trop pornographique. »
Vous au contraire, prétendez que mon histoire est mignonne comme tout, tout à fait bandante et que mon style est fastoche, un peu de la merde en bâton.
Faudrait vous entendre les éditeurs ou vous associer !
Modestement, M’sieur Lanzmann, j’ai appris à écrire à des dizaines de petits merdeux qui, depuis ont fait leurs preuves, en particulier le brave A.D.G. (Alain Camille) qui publie son huitième bouquin chez Gallimard et qui a vu « La Nuit des grands chiens malades » porté à l’écran par Georges Lautner sous le titre : « Quelques Messieurs trop tranquilles ».
C’est à coup de lattes dans le cul que j’ai appris au susnommé Camille à bien former ses virgules, à faire des reu, des beu et même des seu. Vous dire !
Mme M. a dû vous glisser dans le tuyau de l’oreille que des universitaires commettaient des thèses sur mes généreuses créations.
J’ajouterai que j’ai lancé dans les années 60, le fameux style « mèque » qui fleurit dans toute la presse contestataire d’aujourd’hui. (J’étais alors président d’une association qui regroupait 40 000 écrivains répartis dans 38 pays.)
Vous allez me rétorquer que tout ça n’empêche pas d’écrire comme un sabot. C’est votre avis, pas le mien.
Et regardez votre propre exemple, M. Lanzmann. Vous avez écrit des chansons pour Dutronc que n’aurait probablement pas revendiquées Vaugelas. Et pourtant, et pourtant, derrière leur simplicité apparente, il y avait le talent et la qualité. J’en veux pour preuve que le jour où vous avez cessé d’écrire pour Dutronc, sa cote a baissé en flèche.
J’ai mis vingt ans pour apprendre à mal écrire. Ça signifie que je me suis dégagé peu à peu des fioritures imposées par les cons, pour posséder un langage multiforme, un vocabulaire puisé dans toutes les créations du langage parlé.
Et vous voudriez que je renie tout cela ? Que j’écrive comme tous ces impuissants du stylographe ? Que ma petite chanson à moi soit blette ? Merde, non !
Il y a moins d’un an, j’ai envoyé mon CHAUVACHE à quelques éditeurs dont Denoël. Bien puni. Mme M., qui se tortillait la matrice de voir mon ourson dormir au fond d’un tiroir, m’a demandé à qui elle pourrait proposer mon bouquin. J’ai dit Lanzmann, parce que j’étais persuadé que vous étiez le seul à avoir suffisamment de couilles au cul pour imposer ce genre de style.
Pas oublier qu’il faut être spécialement intelligent pour ne pas confondre le génie et la facilité. (Merci. Je viens de me moucher avec ma cravate.)
Alors Mme M. a fait toc toc aux Editions Spéciales, pensant vous y trouver. Mais léger comme l’oiseau sauvage, vous vous étiez posé chez Denoël (il y a de gros oiseaux). Et la dame dont je parle ignorait que j’avais déjà proposé mon manuscrit à cet éditeur.
Alors Lanzmann, haut les cœurs ! Vous avez accepté, paraît-il, mon bouquin. Vos complices à moitié, tournant un peu le pif. Un p’tit effort, une grande respiration. Si vous prenez le risque, je serai pas trop gourmand pour la galette...»
(Extrait d’une lettre de M.-G. Micberth envoyée à Jacques Lanzmann le 7 juillet 1973. Correspondance inédite.)
(Merci à mon « conseiller discret » : Eric Deroy)

Source de la citation : http://micberth.org/index.php?post%2F2014%2F10%2F18%2FL%E2%80%99aventure-du-Pieu-%281%29

Commentaires

Zorglub a dit…
Et pourtant être publié n'est pas tout, n'est pas une finalité :

http://youtu.be/V1DPSLROcKg

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