Ils m’arrosèrent de deux jets de pisse chauds et puants



Mon cerveau semble être reparti dans ses travaux de reconstitution. Les ramifications neuronales se remettent sans doute en place. J’imagine des autoroutes percluses de nids de poule soudainement recouvertes d’un macadam neuf. La circulation de la mémoire est plus fluide. Les mains tremblent moins. J’ai de nouveau cette vieille angoisse qui se fait jour : j’ai échoué.
Les années au collège furent les plus glauques de l’adolescence. Frêle, définitivement classé dans la case « nul et bizarre », je frôlais les murs, constamment menacé par les caïds, griffé au visage, raillé, tabassé dans les toilettes. L’apothéose fut sans nul doute cette récréation où je fus serré par Ahmed et David en sortant du chiotte après avoir déféqué. Ils faisaient une tête de plus que moi. Leurs regards étaient ceux des loups tueurs d’enfants tels qu’on les représentait dans les contes. « Tu as bien chié par ton trou d’enculé petit pédé de poète ? » Je n’avais rien à répondre. La sentence était rendue. Je cachai mon visage avec mes mains avant qu’ils me balancent à genoux vers la cuvette, me plongeant la tête dans l’eau encore viciée par des boulettes de ma propre merde. « On veut plus de toi ici ! T’as rien à foutre ! On t’a déjà dit de plus revenir ». J’avais souvent fait des records personnels d’apnée dans l’eau du bain, si bien que je me mis en mode poisson, gardant ma concentration autant que possible pendant qu’ils me rouaient de coups dans le dos et sur le cul. La douleur se fit plus forte lorsqu’ils se mirent à me frapper avec ces baguettes dont usaient certains profs pour pointer des lieux sur une mappemonde fixée sur le mur de leur classe. L’un d’eux maintenait ma tête dans l’eau dégueulasse. Je ne rêvais que d’une chose, bien que j’en aie très peur, c’était de ma propre mort. « Qu’ils en finissent » me disais-je. Ils en décidèrent autrement. Ma tête rejetée en arrière, ils me retournèrent brutalement. Toujours à genoux, les yeux enflammés par l’eau de la cuvette, je parvins à voir leurs doigts ouvrir leurs braguettes, extirpant leurs sexes qui m’arrosèrent de deux jets de pisse chauds et puants. Je ne pleurais pas. Je fermais les yeux. Je restai effondré sur le sol un instant en espérant que cet instant n’ait été qu’un bref cauchemar. La suite était dans la logique de mon lot quotidien. Un professeur m’aidait à me nettoyer tant bien que mal en m’aspergeant d’eau glacée du robinet des toilettes réservées aux professionnels de l’établissement. Je ne comprenais pas la raison de toutes ces méchancetés. J’avais honte, j’étais effrayé mais j’étais aussi résigné.
Mon retour à la maison était la suite logique avec réprimandes, remontrances, insultes et quelques fois une bonne baffe bien placée histoire que je comprenne bien que je faisais honte à toute la famille. La routine. Dans le lit, sous les couvertures, à la lampe de poche, je dessinais des petits bras déchiquetés d’adultes, j’inventais des monstres, je défonçais la feuille à coups de mine de crayon telle une lame trouant la panse de tous les salauds du monde.
Ma mémoire refait surface tels les vers géants du film Dune. Quand je disjoignais les événements durant toute ma vie de jeune adulte, aujourd’hui, ils caracolent. Je massacrai mon premier chien à cette époque-là.
Les journées d’enfer à l’école étaient suivies par les aboiements d’un cocker lorsque, rentrant à la maison, je passais devant son grillage. Aux autres enfants, à peine braillait-il quelques « ouhouff » étouffés tandis que j’avais droit à des jappements haineux et agressifs. Ça continuait d’amplifier les moqueries des gosses qui me précédaient ou me devançaient.
C’est un dimanche matin, quand tous les papas, leurs fils, les neveux, les tontons étaient à traîner au stade de foot, à la buvette et au PMU, que les mamans, les filles, les nièces, les tatas faisaient frire l’ail, les oignons, les pommes de terre et les viandes, que j’errai sur le chemin de l’école et passai devant le grillage du cocker. Comme à son habitude, il brailla. Tous crocs dehors. Je sortis un morceau de viande pour pot-au-feu, que j’avais subtilisé dans le frigo, que je fis glisser sur le grillage toute en avançant, passant par le petit chemin qui traçait entre cette maison et sa voisine jusqu’à l’arrière où je m’arrêtai, au niveau d’un portail en bois juste fermé par un loquet. Je l’ouvris. Le chien braillait moins, se rua sur le bout de viande tel une hyène affamée et je plantai la lame d’un couteau de cuisine à l’arrière de son crâne. Il se figea, je donnai un second coup, puis un troisième et n’arrêtai plus jusqu’à ce que mon bras n’en puisse plus, engourdi par l’effort. Essoufflé, face au cadavre déchiqueté du clébard, je souriais, plein de joie, buvant la lumière du soleil, découvrant une face nouvelle du monde. J’étais heureux, j’étais soulagé, j’étais au zénith de ma vie… Je faisais connaissance avec le pouvoir, seul force qui pouvait repousser l’ignominie humaine générale du petit être déchiré que j’étais. J’étais tellement heureux que je dessinai des monstres à tête de chien, la gueule ouverte en deux avec d’énormes tronçonneuses. Je sentais que je pouvais éloigner le mal qu’on me faisait en faisant… encore plus mal…

Extrait de mon prochain roman en cours de finition. Je n'en dirai pas plus, toi le plagiaire, toi qui viens vérifier si je suis mort, si je suis à l'agonie, si je suis un looser, un has-been, toi qui veux me voir emmuré dans l'oubli, tu fais fausse piste... Mais désormais, ce n'est plus sur internet que tu pourras goûter aux écrits du spectre d'Andy Vérol que je suis... 

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