La drôle de paix. Chronique d'un effondrement annoncé, d'un burn-out du capitalisme mondialisé

Photo: Destruction by Thomas Cole/Wikimedia


  • Déclenchement de l'effondrement.
Voici un bouchon gigantesque en Pennsylvanie. Près de 10000 personnes qui se ruent pour un grand show à l'américaine ? Non, des milliers de personnes qui font la queue à la banque alimentaire. On retrouve le même "spectacle" à San Antonio au Texas et partout ailleurs aux États-Unis. À ce jour près de 17 millions de personnes ont perdu leur emploi en trois semaines. On estime à 45 millions le nombre d'américains qui seront au chômage d'ici quelques mois. Début mars,, j'annonçais 60 millions de chômeurs en plus à travers le monde suite à cette "crise" du coronavirus. J'étais largement en-dessous, et pourtant dieu sait que je suis une annonciateur de très mauvaises nouvelles. 

Jamais dans l'Histoire de ce pays, y compris après la crise de 1929, un tel phénomène ne s'était produit. En réalité, aux États-Unis comme partout dans le monde, nous sommes tous plongés dans une crise 25/30 fois plus puissante que celles de 29 ou de 2008. Nous ne vivons pas dans un régime de guerre contrairement à la logorrhée assénée par nos valeureux dirigeants. Un régime de guerre implique des armées qui combattent d'autres armées. Nous avions en France en 1939-1940 ce qu'on appela la "drôle de guerre". Les soldats français bien plantés sur leur ligne Maginot faisaient face à leurs confrères allemands sans qu'il se passe rien. L'attente. L'ennui. La certitude que ça suffirait à canaliser les ardeurs de l'ennemi. 
  • La drôle de paix. 
Aujourd'hui nous sommes dans ce que j'appelle la drôle de paix. Des centaines de millions de personnes sont confinées pour canaliser une pandémie. Pour gagner du temps, pour ne pas engorger les hôpitaux et les morgues. On attend, on s'ennuie, on déprime ou on fait semblant d'être peinard et d'occuper nos journées au mieux. Beaucoup d'entre nous tablent sur un redémarrage certes difficile mais un redémarrage de l'économie. C'est pourtant le contraire qui va se passer. Bien sûr, il y aura un rebond au moment du déconfinement. Ce qui était fermé et donc rouvert sera investi par les consommateurs, du moins ceux qui n'auront pas laissé toutes leurs économies dans la "bataille" et pire, ceux, qui déjà avant cette crise, ne parvenaient pas par millions à finir leur mois avec les revenus qu'ils percevaient. 

Cette drôle de paix donne lieu à des discussions. L'argent magique est revenu. Quand on nous expliquait qu'on ne pouvait pas vivre à crédit, que ça érodait la croissance, aujourd'hui, c'est tout le contraire, on injecte des centaines de milliards voire des milliers de milliards de dollars pour tenter de canaliser cette "crise". C'est une démarche inévitable, une sorte de réflexe de survie de la part d'une Humanité - particulièrement en Occident - qui n'a jamais fait le moindre effort pour se sortir du bolide à toute vitesse et en feu dans lequel elle pensait trouver l'absolu bonheur. Toutes les vieilles recettes sont employées pour tenter le tout pour le tout. Pourtant, nous ne vivons pas une crise. Enfin si, nous vivons la crise de la pandémie du coronavirus. Cette crise est l'amorce, le déclencheur, la charge de dynamite qui va exploser la montagne sur laquelle nous vivions. Celle-ci ne va pas être ébranlée, fissurée, érodée ici et là, endommagée, non, elle va s'effondrer totalement, emportant tout sur son passage, provoquant séismes, tsunamis, éruptions, inondations et tout autre catastrophe incontrôlable. 

Concrètement, les Etats-Unis ont eu une force extraordinaire pour se relever de crises grâce, et surtout depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale au dollar, monnaie d'échange mondiale. La flexibilité du marché du travail permettait de mettre des millions de personnes à la rue sans un rond mais dès que la croissance repartait, ces personnes, quand ils n'étaient pas devenus fous, suicidés, accrocs à la drogue ou gravement malades, retrouvaient du travail (plusieurs boulots d'ailleurs) et c'était reparti comme en... 45. Dans la situation actuelle, et ça n'inclue pas que les USA mais bien l'ensemble du monde occidental et des pays dits émergents, l'effondrement est tel que tout le socle sur lequel était posé la montagne est complètement réduit à l'état de sables mouvants. 45 millions de chômeurs aux Etats-Unis, probablement autant peut-être plus en Europe, idem pour le Japon, la Chine, l'Inde, la Russie, etc, ce sont des appartements et maisons dont on ne paie plus les traites, des protections sociales privées inexistantes. Ce sont des achats que ces gens ne feront plus pour nourrir la folle course à la croissance. Tout va s'effondrer: la recherche scientifique, les systèmes d'instruction et l'éducation, la culture, la production manufacturière, les services R&D, le tourisme, l'hôtellerie, la restauration, la logistique, l'industrie, le BTP, les transports, les assurances, l'agriculture intensive, l'industrie agro-alimentaire et même les banques. Tout sera emporté. Mais telle la pandémie de coronavirus, cet effondrement ne se fera en une phase. Tout ça se déroulera par paliers. 

En 2008, lors de la crise des subprimes (qui était en fait une crise pétrolière massive au préalable), beaucoup misaient sur une crise dite en V. Une chute puis une remontée spectaculaire. Me concernant, je m'étais rallié à ces économistes qui parlaient eux d'une crise en W. Une chute, un rebond, puis une chute encore plus forte et un rebond mais terriblement coûteux, hypothéquant à jamais l'avenir. Ce fut la phase 2008-2012/14. Depuis, les Etats se sont éreintés à coûts d'endettement pour éviter l'effondrement de leurs économies. En réalité, ils ont liquidé leur avenir en pariant sur une reprise telle qu'elle aurait effacé les dégâts déjà monstrueux de cette crise. Une fois encore, je me suis rallié aux économistes, les diseurs de mauvaises aventures qui expliquaient qu'une crise terrible, bien plus forte et irréversible que celle de 2008 allait se produire en 2019/2020. Nous y sommes. L'argent magique que nous empruntons pour tenter de construire à la hâte des systèmes pour renforcer la montagne qui s'effondre n'y pourra rien. Cette montagne, dès 2008, était complètement percluse de fissures, de gouffres, de lignes d'effondrement que seule une forêt luxuriante que nous avons fait pousser dessus cachait avec beaucoup d'efficacité aux yeux de la plupart des gens, y compris les dirigeants. 

Les bourses du monde feront un rebond ou deux parce que ce monde financier est hors-sol, il spécule sur la dette. En gros, un état n'est pas un individu. Un état ne meurt pas comme un individu. A la marge, il peut disparaître après avoir été annexé par un autre. Il peut aussi disparaître sous les eaux dans le cas des états insulaires. Mais il est rare qu'il disparaisse. Un pays existe au-delà de toutes les générations d'hommes qui y vivent. En général. Il peut arriver comme en Tchécoslovaquie,  Yougoslavie, dans l'empire austro-hongrois ou en URSS qu'il se disloque en une myriade de petits pays, comme les Indes divisées en trois pays (Inde, Pakistan, Bungladesh), il peut devenir le fantôme de lui-même (Libye, Syrie...), il peut naître d'une situation historique (la création d'Israël ou la décolonisation par exemple). Mais globalement un pays a une durée de vie de loin supérieure à celle de plusieurs générations d'êtres humains. C'est le postulat des marchés financiers, des banques: on prête, à tour de bras, on vit des intérêts sur ce que l'on prête sur plusieurs années, plusieurs décennies. On spécule sur la dette. Le peuple lui paie. Le marché encaisse. Ce mécanisme va encore perdurer quelques temps. L'inertie d'une société est équivalente à celle d'un paquebot de millions de tonnes qui doit amorcer un freinage. Il lui faut des dizaines de kilomètres pour se mettre en point mort. La différence est majeure: le paquebot sur lequel nous sommes freine trop tard alors même qu'il se dirige droit sur le flanc d'une montagne côtière... Cette montagne dont je parlais qui vient d'être dynamitée. 
  • Un tsunami de misère. 
Le tsunami de misère qui est en train de s'abattre sur le monde s'ajoute à la misère qui existait déjà. La surpopulation mondiale, la démographie galopante, le réchauffement climatique, la digitalisation complète des process de production et l'extinction massive de la vie animale et végétale sont les autres facteurs favorisant l'effondrement complet de la montagne. Comme je le disais plus haut, c'est par paliers que cela se déroulera, et, à mon humble avis, ça se passera sur une décennie, peut-être un peu plus. J'écris une tétralogie appelée "Avant Extinction" depuis 2005. Le sous-titre est: 2033. Ce sont quatre romans prémonitoires, d'anticipation mais pas que. Cette production de romans est pléthorique depuis quelques années. Mon approche est bien plus philosophique, politique et spirituelle. La montagne sera totalement effondrée en 2033. Mais des êtres humains par millions, par milliards encore seront là, revenus pour beaucoup à l'état où vivaient leurs lointains ancêtres de la préhistoire. L'extinction est d'abord celle de notre monde. L'Humanité survivra, pour une très faible partie d'entre elle, mais elle deviendra une espèce retournée à sa place dans la chaîne alimentaire globale. Virus, microbes, métastases s'attaqueront aux survivants. La médecine, sans les milliers de milliards de dollars sera réduite à sa plus simple définition. Nous ne serons plus de ce monde. Pour ma part, je considère que le réchauffement climatique, les catastrophes qui en découleront, l'extinction massive du vivant sur Terre et la sauvagerie de l'Homme achèveront les derniers dans un délais de quelques décennies. Je ne me projette pas dans ce futur-là. Celui qui m'intéresse, ces celui qui nous amènera dans un futur très très proche à souffrir, voir nos proches souffrir, mourir massivement : bien plus encore que lors de la Seconde Guerre Mondiale et toutes les guerres, toutes les crises, toutes les famines et disettes cumulées depuis 1945. 

Je ne ressens aucun plaisir à cette fin annoncée. Je ne ressens pas non plus de panique. J'ai simplement une crainte: devoir subir la férocité de ceux qui  forment une majorité écrasante dans le déni. Pour manger, pour sauver leur peau, ils deviendront ce qu'ils condamnent aujourd'hui: des criminels. Voleurs, assassins, violeurs, sanguinaires, etc. 

Bonne poursuite de confinement, cette drôle de paix qui va bientôt cesser. 

Docteur Tautaule, le rabat-joie du confinement. 


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