Nous baisons dans les bestiaux d’acier

 


Le camping-car tremblant au vent, nous nuisons à l'environnement, nous plaçons nos vies entre les mains moites de la catastrophe. Une couverture sur les pieds, les yeux oiseaux volant au-dessus des rouleaux blancs de l'océan déchaîné. Des mouettes tristes font face aux bourrasques, la valise de bide vide. Nous sommes l’être invisible planqué dans la muqueuse froide de l’habitacle. Ils en ont fait des bestiaux à quatre roues dans les usines, ils ont construit pour nous, ils nous ont fait la couche moelleuse, la planche de plumes sur nos corps crevés, ils nous ont fabriqués les seringues, les tuyaux, les encres vives sur nos dépliants touristiques. Nos esclaves nous ont boulonnés dans l’ennui, dans l’angoisse, dans le sentiment d’insécurité, dans la certitude qu’un bastringue juché sur quatre roues est notre carte fidélité pour le Salut. Nous ne donnons pas cher de la peau du chien qui pue, qui sniffe le buisson avant d’y déverser sa pisse, d’y marquer les frontières de son territoire. Nous ne donnons de la valeur qu’à nos esclaves que nous rémunérons à coups de points fidélité, de carte de crédit. Nous leur faisons honneur, nous baisons dans les bestiaux d’acier qu’ils nous envoient depuis leurs manufactures du bout du monde, des immondes mains abîmées dès l’âge de dix ans, et du sang dedans la bouche qu’ils avalent sans rechigner.

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